Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
En 2019, une étude de la Fondation Jean Jaurès avait montré, à travers une analyse des bureaux de vote situés à proximité des casernes, que les militaires et leurs proches avaient une forte propension à voter pour un parti qui venait de changer de nom et s’appelait désormais Rassemblement national, avec environ 40% de leurs suffrages au premier tour, soit près de deux fois plus que l’ensemble de la population. Il en allait à peu près de même pour les policiers[1]. Cela fut confirmé par des sondages de l’IFOP, comme vient de le rappeler son directeur, Jérôme Fourquet[2].
Tout le monde le sait désormais, un grand nombre de militaires, dont des d’officiers supérieurs du cadre de réserve et certains d’active (bien davantage qu’un quarteron de généraux en retraite) vient de sortir du bois en publiant, le 21 avril, dans Valeurs actuelles, un appel à une réaction (à tous les sens du mot) contre ce que les signataires appellent un délitement. Ils s’adressent aux gouvernants qu’ils considèrent comme responsables de cette situation qu’ils dénoncent sans nuance. Voici un extrait de cette prose pour le moins inquiétante :
« – Délitement qui, à travers un certain antiracisme, s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés. Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, mais à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques. Ils méprisent notre pays, ses traditions, sa culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. Ainsi s’en prennent-ils, par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles en analysant des propos vieux de plusieurs siècles.
– Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution. Or, chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ; il ne peut et ne doit exister aucune ville, aucun quartier où les lois de la République ne s’appliquent pas.
– Délitement, car la haine prend le pas sur la fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. Pourtant, ces dernières ne font qu’appliquer les directives, parfois contradictoires, données par vous, gouvernants. »
De ce texte, dont on trouvera l’entièreté sur la toile, Madame Le Pen s’est immédiatement félicité, retrouvant de vieux réflexes et cassant probablement en un instant de longs et pénibles efforts de dédiabolisation de son parti, nous ramenant aux saillies de son père.
Outre certains leaders de l’opposition et du parti gouvernemental, la hiérarchie militaire a demandé des sanctions, ce qu’a confirmé la Ministre des Armées, Mme Florence Parly. Si des militaires d’active sont sur cette liste qui a semblé s’allonger, ils seront sans doute punis, comme les autorités militaires et gouvernementales l’ont annoncé. Pour les autres (les généraux en charentaise a dit une Ministre), quelques règlements permettront peut-être de les rappeler au bon souvenir de la République.
En tout cas, la Ministre des Armées n’a pas menacé de supprimer les réductions sur les voyages en train dont bénéficient les militaires, fussent-ils en retraite, elle qui a dirigé la branche voyageurs de la SNCF et l’a laissée dans un drôle d’état.
Ceci posé, que faire ? Manifester en masse ? Le contexte ne s’y prête guère. S’en souvenir dans les urnes ? À condition que les électeurs se déplacent. Réfléchir en tout cas et partager cette réflexion. À qui sert cette sortie intempestive de vieux généraux énervés ? Au pouvoir néolibéral, en réactivant le souvenir du putsch d’Alger, le 13 mai 1958 et ressoudant les rangs républicains ? Aux nostalgiques de la vieille extrême-droite pour lui regonfler le moral, elle qui voyait son organisation glisser vers la respectabilité ?
Au cas, fort peu crédible, où l’affaire aurait été manigancée dans les sphères du pouvoir, ce serait du grand art, mais ce n’est probablement qu’une erreur de saint-cyriens peu au fait de la politique et qui, pensant se soulager de leurs idées noires, ont laissé Madame Le Pen tomber dans le piège et les gouvernants s’acheter à peu de frais une conduite républicaine.
Imaginons qu’un texte ait été écrit pas quelques dizaines d’intellectuels demandant à nettoyer l’armée et/ou la police de leurs éléments sympathisants de l’extrême-droite. Que n’aurait-on pas entendu ? L’Université, au sens large, n’est pas une grande muette, mais on attend d’elle des réactions argumentées, passé le moment de sidération.
Quant à espérer que des obédiences maçonniques lèvent le petit doigt, le pire sera peut-être arrivé, avant que cela soit le cas.
[1] Fourquet J., Manternach S., « Pour qui votent les casernes », Fondation Jean Jaurès, 2019.