Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
L’affiche du second tour de l’élection présidentielle de 2022 serait déjà arrêtée : Marine Le Pen affronterait Emmanuel Macron. Mais comme, d’une part, les Françaises et les Français aiment déjouer les doctes affirmations pré-électorales et comme, d’autre part, les cycles politiques s’accélèrent avec les incertitudes encore renforcées de la crise du coronavirus depuis un an, Critica Masonica propose d’engager un exercice de politique-prospective-fiction pour imaginer des candidates et des candidats qui échapperaient au match retour de 2017. À vos plumes...
1/ Et si les jeunes passaient du pied-de-nez au coup-de-pied au cul ?
Julien Vercel
Imaginons un candidat qui réveillerait le vote des jeunes électeurs. Électoralement parlant, ce pourrait être payant. Car le corps électoral n’est pas un stock, il connait des phénomènes de flux. En 2022, la génération du mini-baby-boom de l'an 2000 - plus de 770 000 naissances ont été enregistrées cette année-là plaçant la France en tête des pays de l'Union européenne - pourra voter quand, en revanche, les personnes âgées ont été les plus touchées par la mortalité due au coronavirus. Ce potentiel de voix pourrait tenter un des candidats pour faire la différence.
De plus, après un an de crise sanitaire et de confinements, les jeunes sont las de recevoir des leçons - l’expression « OK Boomer » incarne cette lassitude -, certains bravent les interdits, en douce ou bruyamment, car ils ont le sentiment que dans la gestion de la crise, tout a été fait seulement pour les vieux (1). Ne sont-ils pas privés des deux composantes essentielles de leur autonomie sociale - les petits jobs et les loisirs - tout en repoussant leur vaccination vers les échéances les plus lointaines ? Vraiment, la « vieille Europe » n’aurait jamais aussi bien portée son nom.
Certes, les reproches sont anciens : depuis la persistance du chômage de masse, l’insertion dans la vie professionnelle des jeunes est devenue plus longue et plus précaire. Stages, emplois aidés, faux contrats à durée déterminée, alternances entre des périodes travaillées et des périodes chômées. De plus, l’accès au logement est souvent compliqué... Comme si les générations précédentes ne leur laissaient pas de place. À cela s’est ajoutée récemment l’accusation, inlassablement répétée par Greta Thunberg, de laisser en héritage un monde malade et un modèle de développement dans l’impasse.
Qui catalysera cette vague de mécontentements dans une guerre générationnelle ? La France a déjà connu en 2017 une vague de « dégagisme ». Et elle a toujours su orchestrer des prises de pouvoir générationnelles tout en mobilisant ses capacités intellectuelles pour inventer des concepts qui les légitiment. Comme le rappelle l’historien Sudhir Hazareesingh, la France est « ce pays qui aime les idées » (2). Il suffit de se rappeler par exemple comment les cinéastes de la Nouvelle Vague ont d’abord dézingué - comme critiques - leurs aînés pour se faire une place au soleil en théorisant contre « une certaine tendance du cinéma français » (3). En 2022, qui enclenchera une campagne contre la gérontocratie ?
Côté slogan, le candidat de la jeunesse mettra en balance les EHPAD et les universités. Côté théorisation, il expliquera qu’il ne faut pas sacrifier l’avenir au nom du passé. En croisant dérision et démagogie, qui sera le nouveau Coluche ? Il faudra bien de la dérision et de la démagogie pour rendre homogène le groupe des 15-25 ans, car la jeunesse est « traversée par des fractures sociales, culturelles, mais aussi politiques et des conflits de valeurs qui sont visibles au niveau électoral », comme le rappelle la sociologue Anne Muxel (4). Et ces fractures se concrétisent par une diversité de votes, du vote écologiste au vote Rassemblement national. L’autre obstacle à surmonter est celui de l’abstention : « le taux, ces dernières années, est supérieur de dix points en moyenne à celui de l’ensemble de la population » (5). Mais la France a connu des épisodes de mobilisations comme pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002 pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen où l’abstention chez les jeunes avait reculé de 12 points (6) ou encore comme pour l’élection présidentielle de 2007 qui avait connu un regain d’inscriptions sur les listes électorales et, finalement, une meilleure participation électorale.
Alors, qui sera le candidat des jeunes ? Une influenceuse comme Léna Situations dont le livre Toujours plus (Robert Laffont) s’est déjà vendu à plus de 150 000 exemplaires ? Des humoristes comme Mcfly et Carlito qui ont relevé le défi d’Emmanuel Macron d’atteindre les 10 millions de vues pour un clip sur les gestes barrière... audience atteinte le 23 février avec le clip intitulé Je me souviens ? Un youtubeur plus sérieux comme Hugodécrypte et ses 1,2 millions d’abonnés ? Un rappeur comme Jul qui a dépassé les quatre millions d'albums vendus ? En tout cas ce candidat ne peut pas venir du monde politique : Sibeth Ndiaye puis Gabriel Attal ont choisi de servir le gouvernement et Adrien Quatennens a fait allégeance au déjà candidat Jean-Luc Mélenchon.
À moins qu’un patriarche rejoue « Génération Mitterrand » et se pose en « Tonton » de toute cette jeunesse... mais les temps sont plus durs et il lui faudra faire dans le « Tonton flingueur » avec, en tête, le souvenir des propos de Daniel Balavoine : « La jeunesse se désespère. Elle est profondément désespérée parce qu'elle n'a plus d'appui, elle ne croit plus en la politique française » ; « le désespoir est mobilisateur, et lorsqu'il est mobilisateur il devient dangereux » ; « il faut que les grandes personnes qui dirigent ce monde soient prévenues que les jeunes vont virer du mauvais côté parce qu'ils n'auront plus d'autre solution » (7).
Si, en plus, par crainte d’un énième variant, les aînés qui forment habituellement les gros bataillons d’électeurs, renonçaient à se déplacer pour aller voter...
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1. Génération fracassée, Maxime Lledo, Fayard, 2021.
2. Ce pays qui aime les idées. Histoire d'une passion française, Flammarion, 2015.
3. François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Les Cahiers du Cinéma, n°31, janvier 1954.
4. Anne Muxel, « Le surcroît d’abstention des jeunes accentue le problème posé à la démocratie », lemonde.fr, 2 juillet 2020.
5. Ibid.
6. Anne Muxel, « La participation politique des jeunes : soubresauts, fractures et ajustements », Revue française de science politique, vol.52, 5-6, 2002.
7. Antenne 2, 19 mars 1980.