Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Douze chapitres sont rassemblés dans ce nouvel ouvrage de Stéphane François qui paraîtra en août chez Dervy, pour balayer un champ que devraient labourer l’ensemble des maçonnes et maçons s’ils veulent tenter de se tenir à jour quant à l’évolution de la société. L’auteur reprend un certain nombre de ses textes qu’il a corrigés pour harmoniser l’ensemble. Parmi ces chapitres, plusieurs sont tirés d’articles parus dans la revue Critica masonica, dont il est un collaborateur régulier et apprécié.
Stéphane François commence par des textes qui explicitent sa démarche et son épistémologie de chercheur qui prend l’imaginaire comme un fait social. Il continue en s’attaquant, textes à l’appui, à un René Guénon dont de trop nombreux maçons ésotéristes s’inspirent encore, sans trop savoir à qui ils ont affaire. Vient ensuite la question du complotisme, avant que ne soit analysée une Ufologie qualifiée de « forme hypermoderne » de ce cette triste maladie sociale.
Ces thèmes classiques ont connu ces dernières années une nouvelle actualité, techniquement parlant, grâce à Internet, et intellectuellement, par la montée d’un rejet des Lumières et un retour de l’obscurantisme, essentiellement repérables dans des « subcultures » où l’antisémitisme est fréquent, formant une idéologie qui se diffuse, notamment sur les réseaux sociaux et suscite hélas l’intérêt de certaines formes de maçonnerie.
Les lectrices et lecteurs se pencheront avec intérêt sur le chapitre 8 du livre, entièrement consacré à « la persistance de l’antimaçonnisme » chez les adolescents et jeunes adultes. Stéphane François note que ce rejet, lié à celui de la modernité et même d’une certaine forme de connaissance, est fort peu documenté. Plus largement, la clientèle ésotériste et/ou complotiste relève d’une population de « sachants » qui déteste les « savants », assimilés aux dominants.
Les littératures dites de l’imaginaire continuent également à jouer un rôle dans leur confrontation avec l’univers scientifique pouvant aller jusqu’au concept de « réalité alternative ». Cela ne veut certes pas dire, fort heureusement, que les amateurs de certains genres littéraires prennent ce qu’ils lisent comme l’expression d’une réalité alternative. Bien des mathématiciens sont férus de science-fiction.
Stéphane François a enquêté depuis de longues années, et à une échelle internationale sur ces milieux. Sachant donc parfaitement de quoi il parle, il note à quel point la grande majorité du système universitaire rejette le type d’étude qu’il propose, laissant se développer les discours internes à certains groupes, souvent répétitifs, qui se nourrissent en partie de ce rejet du monde académique. Les écrits de notre auteur démontrent pourtant l’apport que peuvent offrir l’histoire, la science politique et la sociologie à la connaissance de tout un pan de la société en inscrivant cette démarche dans un élargissement de l’histoire des idées. Il semble que certains chercheurs soient encore rebutés par un corpus jugé ingrat et aient peur d’être assimilés aux spécialistes « internes » à ces milieux.
D’une lecture agréable, très bien construit, ce livre est à offrir d’urgence (il vous en coûtera 18 euros) à celles et ceux que vous pouvez connaître et qui pensent échapper à un réel certes difficile à supporter, en recherchant un sens ou une réalité cachés. Il ne s’agit pas de se confronter à une religion à l’ancienne, mais à des choix collectifs, souvent conçus comme personnels, révisables et partageables.
Tout cela ne serait pas si grave si cela ne s’inscrivait souvent dans un paysage d’extrême, voire d’hyper-droite. Ce qui s’est passé aux États-Unis aux temps déjà anciens (mais pas révolus) du trumpisme nous aidera à faire le lien avec le politique. Le ver est dans le fruit, mais un bon traitement bio et tout ira mieux.