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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Chronique / « Un fleuve pour Maria » de Lionel Parrini : une pièce de théâtre au temps du Covid

Raphaël Rubio

Le festival d’Avignon ferme bientôt ses portes. Le malaise du monde de la culture, et bien évidemment celui du théâtre, fut cette année palpable. Derrière le simple aspect « esthétique » d’une œuvre, se cache souvent un parcours du combattant. Focus sur Lionel Parrini et Loic Filibert, deux artistes à l’origine de la pièce de théâtre « Un fleuve pour Maria » : une chronique culturelle marquée par la crise.

« L'art et la culture, possèdent cette force, ce génie, susceptible de surmonter toutes les crises ». Caroline Gora, militante féministe et présidente de l'association Egali-Terre, sourit calmement. Devant le petit porche d'entrée du théâtre de l'Isle 80, en Avignon, la jeune femme, saluant au passage quelques connaissances, analyse brièvement la pièce « Un fleuve pour Maria » composée par Lionel Parrini.

« Voilà, entre autres, ce que je peux retenir de cette œuvre », souffle-t-elle. « Une ode à la vie ! Il ne faut pas se laisser tromper par ce qui, de loin, ressemble à une histoire d'amour. En réalité, ce texte touche au caractère universel de l'âme humaine. Tel est le pouvoir de l'écriture. Rendre essentiel notre humanité. En somme, en pleine crise de la Culture, restituer le sens de sa présence au monde ».

Le spectacle résonne, en effet, avec le sentiment de malaise qui a pu saisir des pans entiers du secteur de la Culture. Ce malaise, d'ailleurs, s'étire et se répand au sein des vieilles rues de la cité des Papes. Son aspect palpable se lit sur les visages. La Culture, menacée par le Covid, a du affronter le spectre d'une « invisibilisation » quasi complète. « Sans parler » abonde Caroline Gora , « du populisme d'extrême droite, qui, aux dernières élections régionales en PACA a failli tout emporter. »

Les projets reportés, les représentations annulées, les ateliers que l'on n'anime plus, et puis, pour certains, cette solitude liée au confinement et à la fermeture des salles. Au cœur de la tempête, Lionel Parrini, a su cueillir des graines et des raisons de croire. 

L'homme est un combattant. Il résiste. Prépare l'avenir. Laisse sa sensibilité dissiper les ténèbres du moment. 

Coach en écriture, écrivain de théâtre, de nouvelles et de poésies, celui qui est aussi scénariste, s'accroche indéfectiblement à son idéal. Depuis son atelier, non loin de Gardanne, il ne cède pas un pousse au déclinisme. À ses yeux, la Culture, doit continuer à créer des « passerelles ».

« Il s'agit d'inventer de nouveaux modèles » estime le poète. « Imaginer des ponts, collaborer autrement, partager des espaces et multiplier les lieux de création. Nous sommes à un carrefour. La culture change de paradigme, connaît des ruptures, mais sa continuité demeure vivante. »

Une continuité source de nombreux espoirs. « L'immensité des montagnes ne cache jamais le soleil » s'écrie, insolent, le personnage de la pièce. 

Ce soleil de la création, véritable parabole platonicienne, illumine avec force « les mots » de Lionel Parrini. 

Troisième volet de « Sauvage » un triptyque théâtral consacré à l’Amour, « Un fleuve pour Maria »  met en scène un « sédentaire » amoureux d'une insaisissable « nomade ». Le spectacle invite alors à une sorte de pèlerinage. Voyageant de rêve en rêve, le spectateur, voit son rapport à la modernité être bousculé et interrogé. La puissance poétique du verbe « Parrinien » questionne nos certitudes. Faut-il renoncer aux voyages, confondre sédentarité et enracinement, aliéner une partie de sa conscience aux injonctions contradictoires du monde moderne ? 

La mise en scène, ponctuée par 9 chansons, se présente ainsi sous la forme d'un oratorio. Les récitatifs poétiques alternent avec des chants, tous interprétés sur instruments différents ! 

Une telle prestation n'est réalisable qu'avec un artiste d'exception. Sur les planches, Loïc Filibert transfigure littéralement le texte.

Authentique saltimbanque, le musicien, lui aussi gardannais, joue alternativement du piano, de la guitare, de la contrebasse, des percussions et du handpan. Sa voix, chargée de magie, baigne d'une ivresse sorcière. 

Attablé au comptoir d’un restaurant arménien, Loïc Filibert, chapeau vissé sur la tête, évoque, devant nous, son parcours. Son timbre grave est recouvert par « Le chant des marais ». Une troupe ambulante, au loin, juchée sur le rebord d’une fontaine, entonne bruyamment cet hymne de résistance.

« J'ai débuté le piano à l'âge de 14 ans explique le musicien. Puis la guitare vers l'âge de 18 ans. Cependant, je suis un véritable amoureux de la contrebasse. Je lui doit tout. »

Autodidacte, l'artiste se bat. Il brise les plafonds de verre, dépense énergie et talent pour se dévouer corps et âme à la musique. Membre d'un trio de jazz, il fait partie durant plusieurs années du Big Band de Gardanne. Commence ensuite une movida marseillaise, périlleuse vie de bohème, où il faut donner de soi pour célébrer, chaque semaine, sa vénération pour la Liberté. 

« J'ai vécu des concerts absolument formidables. Étudier auprès de Jean Lucas Renzi ou de Marc Johnson constitue un privilège. Cependant il me fallait autre chose. Me fixer un nouveau défi. J'ai voulu travailler la voix. »

Tel un « Balboa » de l'art, Loïc reprend les gants. Il travaille nuits et jours, affine sa voix, affronte l'adversité et les périodes de doute. Jamais, pourtant, l'artiste n'abandonne. Un combat payant. 

« Je suis devenu formateur en expression vocale, art-thérapeute par la voix et expression scénique. » Cet expert de l'oralité, n'a, malgré tout, jamais pris de cours de théâtre. Sa prestation sur la scène de l'Isle 80 est une première. 

« J'ai une mémoire de grenouille, ajoute, un verre de blanc en main, Loïc Filibert. Pour apprendre le texte, je me suis enregistré. J'écoutais le truc la nuit, en marchant, en voiture. Je répétais devant la glace. La poésie de Lionel a fini par entrer. »

La culture, profondément, reste une ordalie. Ce duel avec soi même s'apparente à une leçon d'énergie. 

La représentation terminée, Loïc entasse pèle mêle toutes sortes de matériels et de décors dans sa vieille bagnole. Sous le soleil de Provence, direction sans attendre un atelier de chant situé à plus de 300 kilomètres d'Avignon. « Going the distance ». La musique de Bill Conti flotte obsessionnellement dans notre tête. Il faut tenir. Persévérer. Continuer à vivre. Mais comment ? 

« La montagne n'attend rien.

La mer n'attend rien.

Elles sont. » écrit Lionel Parrini.

Telle est peut-être la clef de notre survie. 

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