Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Il est deux registres par lesquels la psychanalyse est souvent contestée dans ses présupposés. Le premier tient à l’avancée des sciences cognitives qui modifient en profondeur le champ des déterminations, et ce à chaque fois que les connaissances neurologiques progressent. Le second est celui qu’Hervé Mazurel, chercheur à l’Université de Bourgogne,s’emploie à traiter dans son ouvrage qui vient de paraître à La Découverte : il s’agit de contester le caractère anhistorique des métaphores choisies par Freud et ses continuateurs.
Hervé Mazurel, co-directeur de la revue Sensibilités, estime en effet dans ce maître-livre que l’inconscient n’échappe pas à l’histoire et que les catégories forgées dans la Vienne bourgeoise de la fin du XIXème siècle ne peuvent plus tenir aujourd’hui. L’auteur qui se dit « nourri d’histoire des sensibilités, de sociologie psychologique et d’anthropologie critique » considère qu’il faut désormais prendre en compte les affects comme étant inscrits dans une époque et les troubles comme étant inscrits dans une logique de classe.
Il ne s’agit pas pour l’auteur de refuser l’apport des interrogations freudiennes, mais de prendre en compte notamment l’évolution considérable des frontières de la pudeur et de l’intimité - que la psychanalyse a d’ailleurs contribué à faire bouger - et de se soucier de ce qui a changé dans le territoire des interdits et, par là même, des phantasmes et d’une possible lecture symbolique des rêves. Quant à la famille sur laquelle Freud avait tendance à rabattre le social, elle s’est elle aussi transformée, comme l’ont fait les rapports de genre. Par exemple, l’hystérie qui faisait spectacle dans l’univers psychiatrique a disparu.
Il n’y aurait donc pas d’archétype universel, comme celui du célèbre l’Œdipe. La question avait déjà été posée synchroniquement par rapport aux cultures asiatiques, africaines ou océaniennes. L’auteur la diachronise, l’historicise. Certes, plusieurs courants de la psychanalyse freudiens ou lacaniens ont déjà tenu compte de changements qu’ils ont d’abord enregistrés dans leur pratique clinique, puis tenté de théoriser. Mais il va ici d’un véritable basculement épistémologique, au delà des adaptations.
En treize chapitres, le livre s’emploie à étudier « l’histoire des profondeurs », en commençant, dans une première partie, par se demander si les rapports entre psychanalyse et histoire sont bien dans une impasse qui viendrait du fait que Freud aurait été autant un héritier qu’un précurseur. Il pose ensuite l’histoire au creux de l’inconscient et poursuit sa réflexion, après avoir réglé « le faux problème de l’inconscient collectif », sur le tryptique « civilisation, refoulement et affectivité ». La dernière partie s’emploie à explorer l’inconscient historique et les post-scriptum que l’auteur nous propose installent la question des phénomènes de régulation constants dans leur rapport au désir, lesquels mériteraient une nouvelle approche.
La somme des références convoquées par Hervé Mazurel est impressionnante et l’on retiendra l’une de celles qui figurent en exergue du livre, empruntée aux Fragments posthumes de Nietzsche : « Nous ne croyons plus à des concepts éternels, et la philosophie n’est pour nous que l’extension la plus large de la notion d’histoire. » Les 590 pages du livre aideront plus d’une personne installée sans confort dans la « citadelle assiégée » qu’est la psychanalyse à prendre du champ. Cela ne veut pas dire que toute pratique et soutien psychologique soient à proscrire, bien au contraire. Mais c’est d’un hic et nunc qu’il s’agit de creuser. Les profondeurs existent, mais leur lecture doit être historicisée, et pas seulement dans l’histoire intime de l’individu.
Et l’auteur de conclure : « L’inconscient est notre histoire et peut-être même toute l’inquiétante étrangeté de l’histoire ».