Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
19 Septembre 2021
Julien Vercel
À travers le récit « vu de l’intérieur » et avec beaucoup de sensibilité, Chantal Trubert raconte autant le parcours de son père, Jean Trubert, que les liens qui l’unissaient à lui dans un livre réalisé par financement participatif paru aux éditions Depeyrot.
Jean Trubert est un des grands dessinateurs « franco-belge » de l’après-guerre qui est mal connu du public alors qu’il a une oeuvre considérable non seulement par sa production - c’est lui, par exemple, qui a illustré le Roman de renard, les contes du monde entier ou encore repris Bécassine (jusqu’à ce que la série s’arrête suite à un attentat des indépendantistes bretons au BHV !) - mais aussi par l’aide qu’il a pu apporter à nombre de dessinateurs voulant se lancer dans le métier et par son investissement pour défendre un statut et la reconnaissance des auteurs de bandes-dessinées. C’est d’ailleurs ce souci de la transmission qui habite également sa fille devenue dessinatrice et professeur de dessin.
Le récit de la vie de son père est rythmé par de courtes citations de Jean de La Fontaine (« Il possède aussi un grand nombre d’éditions illustrées des Fables de La Fontaine, dont il adore nous asséner l’une ou l’autre moralité, dans toutes les circonstances où, pense-t-il, elles s’imposent »), tour à tour engagé syndicaliste et membre de la commission créée par la loi de 1949 sur les publications à destination de la jeunesse, s’essayant à l’art lyrique, membre du collège de ‘Pataphysique, découvrant la peinture abstraite (œuvres qu’il signe d’abord du nom de sa mère « J.T. Camus »)... Et puis le déclin avec un caractère qui s’assombrit : « lui qui a œuvré toute sa vie pour les enfants se sent dépossédé de son art par la progression exponentielle de la bande dessinée pour adultes » avant d’être diagnostiqué Alzheimer.
Chantal témoigne avec tendresse de ce que lui a légué son père : « élevée avec à la fois une grande liberté culturelle pour l’époque et une grande rigueur, tu as été mon paradoxal bon exemple. Plein de doutes et d’interrogations, mais fonceur et déterminé. Généreux et très protecteur, mais mettant sans cesse tes enfants à l’épreuve ». Même si elle a deux frères, Francis et Pascal, Chantal se distingue d’eux : « pas élevée en fille, pas élevée en garçon non plus, je me demande bien ce que je suis, mais en tout cas, pas non plus ce qu’on appelle un garçon manqué. Seulement, je suis trop tout. Trop grande pour mon âge, trop mate de peau, trop frisée aux cheveux trop noirs, trop de tâches de rousseur, j’ai les dents écartées et en avant, de trop grands pieds, une voix trop sourde, trop basse et je parle trop vite, avec trop de questions, des bras trop longs aux poignets beaucoup trop souples, que tu compares à ceux d’un gibbon, qui font que mes mains pendent à la verticale dès que je relève les avant-bras, comme les basketteurs qui attendent la passe ».
Elle évoque aussi avec une nostalgie contagieuse la période où la famille habite villa Seurat (dans le 14e arrondissement de Paris). C’est là que se retrouvent beaucoup d’artistes : « l’idéal de la Renaissance dont mon père rêvait, il nous l’a en quelque sorte donné avec des maîtres de l’art du XXème siècle, avec la villa Seurat, notre Florence à nous ». Quand sa petite-fille surnommait Jean « Papillon », sa fille termine ce beau livre hommage et illustré par : « Je suis fière d’être la Fille de mon Père ».