Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Joël Jacques
Les lignes du hasard, auxquelles je ne crois pas, sont parfois étranges. En lisant un article de Marie-Danielle Demelas dans la revue « Conflits » (n° 33 de Mai-Juin 2021) portant sur un ouvrage qui ne m’était pas passé entre les mains depuis les calendes grecques. L’ouvrage de Martha Crenshaw : « Revolutionary terrorism : The FLN in Algeria 1954-1962 » publié en 1978, je pensais que 1954 me rappelait quelque chose (à part ma date de naissance, bien sûr). Pour Crenshaw, le FLN, le déclenchement du caractère terroriste et même, pour aller plus loin, la prise de conscience d’une nouvelle forme de conflit, débute le 1er novembre 1954. C’est ce jour-là, durant ce que le Gouvernement français de l’époque a nommé la Toussaint Rouge, qu’apparait ouvertement le Front de libération nationale (FLN) par l’exécution d’une série d'attentats en plusieurs endroits du territoire algérien. Cependant, alors même que les attentats allaient continuer à être perpétrés, jamais la France n’a qualifié le FLN de mouvement terroriste. Pour Paris, il s’agissait d’un groupe révolutionnaire. Et cela est resté. Ce qui a tendance à laisser penser, aujourd’hui, que cette organisation fut un groupement terroriste et que ces attentats n’ont pas été suivis de mouvements de population importants. Les coups d’éclats et mouvements isolés sont, on le sait, l’une des marques des organisations terroristes.
L’étude de Martha Crenshaw est, à ma connaissance, la première et la seule portant sur le caractère terroriste de l’organisation que l’on a coutume de présenter comme un mouvement « révolutionnaire ». Je ne suis pas certain que ce travail ait été traduit, de même, il est assez difficile à trouver sinon sur le Amazon Market Place à 191€. Bien sûr, sur la question des déclencheurs de la guerre d’Algérie, on pouvait avoir quelque documentation dans le livre de Vincent Jauvert, paru en 2000, au Seuil : « L'Amérique contre de Gaulle : Histoire secrète, 1961-1969 » qui couvre la suite des attentats de 1954 en donnant un certain nombre d’implications de la CIA dans la constitution du FLN. D’après les extraits qui me sont parvenus et ce que j’en ai lu dans l’article de la revue, il semble que l’étude de Martha Crenshaw soit assez riche, mais si elle avoue, elle-même avoir fait ses recherches sur une documentation essentiellement journalistique. C’est probablement la raison pour laquelle le contexte politique autant que géostratégique manque un peu de consistance.
Alors, pourquoi je parle du hasard ? Tout simplement parce qu’à ce moment, en avril, le ministre algérien du Travail, Hachemi Djaâboub a déclaré : « la France est l’ennemi traditionnel et éternel de l’Algérie » ! J’avais déjà reçu, fin mars, un SP des éditions Albin Michel contenant l’ouvrage de Benjamin Stora : « Les passions douloureuses » qui fait suite à un rapport commandé en 2020 à l’auteur par Emmanuel portant sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, ainsi que sur les moyens de favoriser une réconciliation entre la France et l'Algérie. Je ne l’avais pas encore lu lorsque que je consultais l’article de la revue. Benjamin Stora, historien, spécialiste de cette question, s'est attelé à la tâche non seulement à partir de l'immense historiographie existante, mais aussi en rencontrant des dizaines d'interlocuteurs de tous bords. Son livre permet de comprendre pourquoi la qualification de terroriste n’a jamais été officiellement utilisée pour désigner le FLN. Pour tenter de rendre compte de cet archipel de mémoires aujourd'hui communautarisées, il ne fallait en effet écarter aucune catégorie d'acteurs : des combattants indépendantistes aux « pieds-noirs », des soldats français aux « harkis », des juifs aux Européens « libéraux », communistes ou partisans de l'Algérie française... Cette vision se doit d’être le plus objective possible, même, et surtout, si l’on sait que le visage politique d’un pays est, avant tout, le reflet de son passé. Les événements se succèdent et s’empilent tel des briques sur un mur et la construction, au final, tout cela ne tient que par la force du mortier. Pour commencer à comprendre les déclarations du ministre algérien tout autant que les déclenchements de la Toussaint 1954, il faut remonter très loin, à une époque où Alger était la plaquer tournante du marché aux « esclaves chrétiens » orchestré par les barbaresques, les pirate moyen orientaux qui sillonnaient la méditerranée depuis le XVIème siècle, à l’époque où les Ottomans gouvernaient les provinces d’Algérie, de Tunisie et de Tripolitaine. ...après un raid anglo-néerlandais sur Alger en 1816, les pirates ont été forcés d’accepter des termes comprenant une cessation de la pratique de l’esclavage et le marché d’Alger fut détruit. En fait, après la prise de la smala d'Abd el-Kader, à Taguine, dans l'arrière-pays algérois, par les troupes du duc d'Aumale le 16 mai 1843 fut, pour lors, le début d’une histoire qui allait être houleuse, même si l’Algérie deviendrait le seul territoire colonial ayant un statut de département français. Contrairement à ce que l’on pourrait penser d’un tel mouvement, les attentats de 1954 étaient, un siècle plus tard, de fait, la continuité de ces événements.
Le livre de Benjamin Stora a ceci de particulièrement intéressant qu’il met l’accent sur la presque impossibilité, encore aujourd’hui, d’écrire l’histoire de l’Algérie et, particulièrement du conflit de 8 ans, de 1954 à 1962, qu’envers et contre tout, un on continue d’appeler « les événements d’Algérie », comme pour se voiler la face sur ce qui était, techniquement, une guerre d’indépendance, voire, eu égard au statut du territoire, une guerre civile.
Je ne saurais donc trop vous recommander de jeter un œil sur ce document particulièrement objectif sur cette part de notre histoire. Même si j’ai mis un moment avant de vous en parler... mais l’Histoire est intemporelle.