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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« L’intégrale ʺWimmen’s Comixʺ » a été publiée par Komics Initiative

Julien Vercel

Trina Robbins avec près d’une centaine d’autrices (dont Dona Barr, Alison Bechdel, Jennifer Camper, Sophie Crumb, Joyce Farmer, Melinda Gebbie, Aline Kominsky-Crumb, Diane Noomin...) créent 17 numéros de Wimmen’s Comix entre 1972 et 1992. Le coup d’essai et précurseur de la revue de ce collectif féminin est le fanzine : It ain’t me Babe (1970). L’intégrale a été publié en français par Komics Initiative en 2019.

Le fanzine underground a connu une pause dans ses parutions après le numéro 7 en 1976, si bien que le numéro 8 ne voit le jour qu’en 1983. À cette époque, le marché des « Comics underground » est en perte de vitesse, car la distribution qui était assurée par un réseau de librairies indépendantes tenues par des hommes s’intéresse d’abord aux super-héros ou aux BD plus « mainstream ». Par ailleurs, Trina Robbins explique que des militantes ont critiqué le titre retenu, Wimmen’s Comix, parce qu’il avait conservé le mot « homme » (men)... si bien que le dernier numéro (n°17, supervisé par Caryn Leschen, 1992) est intitulé :  Wimmin’s Comix !

Les héros sont ici des héroïnes comme « la reine de la jungle » rêvée par une secrétaire assignée à sa machine à écrire (« Monday » de Michelle Brand dans It ain’t me Babe supervisé par Trina Robbins). Toutes les questions qui nourrissent aujourd’hui les débats sur la place que les hommes réservent aux femmes, sur les luttes des femmes, sur les violences et le harcèlement sont abordées directement. C’est Marge, la dactylo qui quitte son job moins bien payé que les hommes et sans arrêt soumise à leur agression, « Fais pas ta mijaurée » lui dit un collègue ! Marge découvre la même domination au sein d’une coopérative cool, « Dis petite, tu me couds ce patch sur mon Levis ? Ça te prendra une seconde » lui demande un collègue. Marge en a assez d’avoir toujours à s’adapter (« Ça fait partie du job » de Lee Marrs, Wimmen’s Comix, n°1, supervisé par Patricia Moodian, 1972). Margery Peters (alias Petchesky) ironise sur les stratégies masculines de « feminism-washing » avec un dialogue entre deux femmes (« Reactionnary Comics », Wimmen’s Comix, n°2, supervisé par Lee Marrs, 1973) :

 

Dans « A sordid Affair » (Wimmen’s Comix, n°3, supervisé par Sharon Rudhal, 1973), Dot Bucher inverse les rôles et imagine Margery harcelant Ted qui a toujours la migraine : « Tu sais, Marge, je suis un homme libéré, mais je n’aime pas être harcelé sexuellement !! ». Dans le numéro suivant, elle dessine Tricia qui, harcelée, décide de devenir M. Brandon (« When a Woman is a Man », Wimmen’s Comix, n°4, supervisé par Shelby Sampson, 1974).

Trina Robbins dessine les aventures de Rosy la riveteuse qui se serait endormie en 1943 pour se réveiller en 1973 sous la présidence Nixon (« Rosie the riveter in RIP van Rosie », n°3). Willy Mendes imagine Kempie la groupie couchant avec Kim son idôle et bien déitée au réveil quand Kim la plante et part rejoindre sa femme et sa petite fille (« Kempie the groupie in ʺAnother Trobʺ », n°3) ! Dans « Cyberfenetics » (n°4), Lee Marrs fait l’éloge de la femme au foyer qui, parce qu’elle connaît mieux que personne les machines, détient « la clé du futur » : « Aujourd’hui, l’évier de la cuisine, demain, les étoiles ! ». Peti Buchel célèbre plus brutalement le pouvoir des femmes avec des combattantes « brise-couilles » (« Ballbreakers », Wimmen’s Comix, n°5, supervisé par Trina Robbins et Terre Richards, 1975).

 

Pour vivre comme elles l’entendent, les héroïnes ont recours à des ruses. Anne Bonny est déguisée en matelot pour rester avec le capitaine pirate Calico Jack, mais lors d’un quart, Anne est attiré par un autre matelot qui est également une femme déguisée en homme : Mary Read. Jack, Anne et Mary poursuivent leurs aventures jusqu’à leur jugement à la Jamaïque (« Pirates Rae », Wimmen’s Comix, n°7, supervisé par Melinda Gebbie et Dot Bucher, 1976). Christine Powers raconte l’histoire de Marjorie que « des millions d’hommes n’oublieront pas » parce qu’elle a inventé un pistolet avec un liquide qui rend impuissant les hommes pendant un an (That’s Marjorie Monster ! The Avenger ! », n°7). Dans « EqualRites », Lee Marrs raconte que les femmes ont quitté la Terre quand « ça a été trop tard pour l’égalité des droits » (Wimmen’s Comix, n°8, supervisé par Kathryn Lemieux et Lee Binswanger, 1983).

Virginia Lombard et Dori Seda donne les trois tactiques à adopter face à un violeur : la désorientation en réagissant d’une manière inattendue ; la mutilation avec, par exemple, un « coup de pieds dans les couilles » et la mise à mort avec, par exemple, un couteau de cuisine, une poële en fonte ou les brûleurs de la gazinière (« Virginia’s Story », n°8).

Si Diane Noomin raconte comment une réunion Tupperware se change en réunion sex toys (« Rubberware », Wimmen’s Comix, n°10, supervisé par Joyce Farmer, 1985) et Caryn Leschen montre combien les toilettes en Europe sont peu pensées pour les femmes (« The toilets of Europe », n°10), d’autres bandes dessinées abordent avec un humour tout aussi décapant des thèmes comme la chasse ou l’holocauste nucléaire.

 

Dans le n°11 (« Fashion confidential », supervisé par Krystine Kryttre et Dori Seda, 1987), Kathryn LeMieux imagine la reconversion de Barbie (« Barbie at 30+ ») après sa mise à l’écart au profit d’une nouvelle Barbie « encore plus anatomiquement incorrecte ». Elle reprend des études, ouvre une clinique de réinsertion pour Barbie convalescentes, fonde un comité politique et finit dans le bureau Ovale !

 

Dans le n°15 (« Petite fille », supervisé par Phoebe Gloeckner et Angela Bocage, 1989), Julie Doucet nous fait revivre  son premier rasage de jambes et imagine un jeune garçon réclamant un Tampax pour Noël, car il a entendu qu’avec « tu peux tout faire : aller nager dans la mer, faire du cheval ou du vélo, bref tout ! » (« The first time I shaved my legs »).

Enfin, mention spéciale pour Pauline Murray et Suzy Varty qui dessinent une fée exaspérée par les voeux d’une épouse modèle : cette dernière, pour plaire à son homme, réclame d’abord un lave-vaisselle puis de gros seins... en vain, car le mari reste aussi désagréable et machiste. La fée fait alors fi de la règle éthique et insuffle la révolte chez la ménagère ! (« Ella gets her man », Wimmen’s Comix, n°13, supervisé par Lee Binswanger et , Caryn Leschen, 1988).

Si l’on peut regretter l’absence de notes pour rendre complètement compréhensible cet univers de la BD féministe underground (mais imagine-t-on une BD avec des notes ?) et la taille minuscule de certains caractères les rendant particulièrement illisibles, ces deux tomes ont l’immense mérite de porter à la connaissance des lectrices et lecteurs de l’Hexagone tout un pan de la création féminine et féministe d’Outre-Atlantique.

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