Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
La lecture du Dossier Zemmour. Idéologie, image, électorat coordonné par Gilles Finchelstein et édité par la Fondation Jean Jaurès (octobre 2021) permet d’apporter des nuances quant à deux exceptions françaises. D’abord, première nuance, il faut bien constater que la politique française n’est pas si originale que ça et emprunte même à des modèles d’Outre-Atlantique. Ensuite, seconde nuance, la France est loin d’être épargnée par des tentations d’extrême-droite.
Le modèle d’Outre-Atlantique est celui de Donald Trump. Dans un contexte où la régulation du débat public est en crise puisque les médias accordent autant d’importance - si ce n’est plus - à la parole d’un homme qu’au consensus scientifique (1), la stratégie médiatique d’Éric Zemmour ressemble furieusement à celle de Donald Trump : choix d’une dynamique de guerre et de division, choix d’une narration calquée sur les feuilletons télévisuels les plus transgressifs pour attirer l’attention, prendre de vitesse les adversaires, promettre des rebondissements et accrocher l’audience par un « cliffhanger » qui appelle le prochain épisode (2). Et comme Donald Trump, Éric Zemmour adopte la trilogie xénophobie-misogynie-complotisme (3).
Mais ce que tente Éric Zemmour est de susciter un mouvement néofasciste comme la France en a connu lors des grandes crises qui ont secoué la République. C’est ainsi que ses partisans sont, d’après les enquêtes d’opinion citées dans le dossier de la Fondation Jean Jaurès, très marqués, ils se considèrent « radicaux » ou « très radicaux ». Sur les 16 points d’intention de vote en sa faveur, 9 viennent de l’électorat de Marine Le Pen (4). Son originalité est de profiter également de la porosité des électorats de droite et d’extrême-droite sur les questions d’immigration. L’extrême-droite a ainsi d’abord rallié les classes moyennes indépendantes, l’univers de la boutique, les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprise, puis, dans les années 1980, elle a su embarquer des catégories populaires, Éric Zemmour lui apporte les retraités et les cadres ! Il tente donc la prouesse de « doubler Marine Le Pen par sa droite et incarner, dans le même temps, une possible jonction avec une partie de l’électorat Les Républicains » (3). Il veut réunir droite et extrême-droite séparées depuis l’affaire Dreyfus et surtout la Collaboration avec les nazis (1). Comme les fascistes italiens et français - et à la différence de Marine Le Pen - Éric Zemmour attire aussi des plus fortunés : « les intentions de vote en faveur d’Éric Zemmour dessinent donc une coalition électorale assez inter-classiste, même s’il dispute clairement au centre et à la droite un électorat assez favorisé » (4).
Quand l’abstention est plus basse parmi la population la plus âgée, il faut peut-être s’inquiéter de voir que le soutien à ce nouvel épisode réactionnaire identitaire français culmine chez les hommes les plus âgés (21% chez les plus de 65 ans). Ou, au contraire, se réjouir quand même en constatant qu’il est le plus bas chez les jeunes femmes (8% chez les moins de 20 ans) et que seuls les « sans religions » (qui représentent 58% de la population française) se montrent moins enclins à le soutenir (4).
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1. Milo Lévy-Bruhl et Frédéric Potier, « De quoi Zemmour est-il le nom ? », p. 5-7.
2. Raphaël Llorca, « La secousse Zemmour », p. 9-13.
3. Matthieu Souquière, « Feu de paille médiatique ou embrasement démocratique ? », p. 15-17.
4. Antoine Bristielle et Tristan Guerra, « Radiographie de l’électorat potentiel d’Éric Zemmour », p. 23-32.