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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Point de vue / « Iel » est un mot-valise, fallait-il en faire des caisses ?

Un billet d’humeur d’Augustine et de Melanctha

Si, en anglais, ce sont le contenu et le sens de la phrase qui déterminent le genre et non le pronom neutre (they), en français ce n’est pas le cas. Ainsi de nombreuses personnes qui se définissent comme non-binaires ou gender queer, entendons par là, qui ne se reconnaissent ni dans le genre féminin, ni dans le genre masculin, ont fait le choix d’adopter des pronoms personnels différents pour se désigner. Cela explique l’apparition du terme « iel », pronom personnel qui fait référence à la troisième personne du singulier mais affiche une neutralité de genre. Ce néologisme issu de l’écriture inclusive, peut également s’orthographier « yel » ou « ielle » et se décline en « iels » au pluriel. C’est au début des années 2010 que cette contraction du « il » et du « elle » est utilisée au sein de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, etc. (LGBTQ+). Son utilisation sur les réseaux sociaux a largement contribué à sa banalisation et surtout à son irruption dans une sphère publique plus large.

Ces trois lettres, I.E.L, qui ne sont qu’un mot-valise formé par les deux pronoms personnels (« il » et « elle ») ont fait l’effet d’une bombe dans les médias dès leur apparition dans l’édition numérique du Petit Robert.

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, déclarait que « l’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française. Alors même que nos élèves sont justement en train de consolider leurs savoirs fondamentaux, ils ne sauraient avoir cela pour référence » (1). Il produit une circulaire visant à écarter le point médian, l’une des modalités de l’écriture inclusive, au sein de l’Éducation nationale (2). Nous ne sommes donc pas surpris·es qu’il fulmine en apprenant l’entrée dans l’édition numérique du Petit Robert, du pronom neutre « iel » ; il soutient François Jolivet, député de La République en marche (LReM) qui exprime son désaccord au sujet de cet ajout, précisant qu’il avait demandé l’arbitrage de l’Académie française par courrier (3). Et enfin, que l’on se rassure, « iel » ne devrait pas intégrer le prestigieux dictionnaire Larousse de sitôt, même dans sa version en ligne. Le linguiste et lexicographe Bernard Cerquiglini s’est en effet opposé à son entrée : « Chez Larousse, la réponse est non, ʺielʺ ne correspond pas du tout à un mot qui rentre dans un dictionnaire d’usage… » (4). À cela le directeur des dictionnaires Le Robert, Charles Bimbenet, reconnaît que si l’usage de ce mot est « encore relativement faible », cela n’a pas empêché leurs documentalistes de constater qu’il était de plus en plus usité, justifiant ainsi son introduction dans Le Robert en ligne, et d’ajouter : « le sens du mot ʺielʺ ne se comprend pas à sa seule lecture (...) et il nous est apparu utile de préciser son sens pour celles et ceux qui le croisent, qu’ils souhaitent l’employer ou au contraire le rejeter (…). La mission du Robert est d’observer l’évolution d’une langue française en mouvement et d’en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c’est aider à mieux le comprendre » (5).

Et, pour clarifier davantage « la chose », nous citerons quelques passages de la tribune intitulée « Highway to iel » parue dans Libération : « Le terme ʺielʺ est bien idéologique. Parce que, dans une langue, tout est idéologique. Choisir un mot, c’est toujours se positionner à l’égard d’une certaine norme sociale prédéfinie. Cela peut concerner le choix du vocabulaire, mais également d’un accent, la pratique d’une liaison, voire une modification de la syntaxe elle-même. (…) On parle toujours à quelqu’un avant de parler de quelque chose. Certes, le langage sert à communiquer de l’information, mais parler ou écrire sont des pratiques socialement situées. Il est donc relativement inutile de condamner l’utilisation d’un mot pour des raisons idéologiques (…). Mais alors, au-delà de sa dimension politique, qu’est-ce qui fait si peur dans l’emploi et la diffusion de ce nouveau pronom? Dabord le fait quil sagisse dun néologisme. Parce que les néologismes, ça fait peur. Dans sa fameuse rubrique en ligne ʺdire/ne pas direʺ, lAcadémie française écrit au sujet dun néologisme dont elle entend protéger les usagers : ʺIl n’est pas sûr qu’il soit nécessaire de faire de la langue un champ d’expérimentation ressemblant au laboratoire de quelque savant à demi fou, surtout, si l’on se souvient que, dans le récit de Shelley, le monstre finit par se retourner contre son créateurʺ. La présence d’un mot nouveau provoque donc bien chez certains de l’épouvante » (6).

Notre grammaire regorge d’accords surprenants ou problématiques sans qu’on entende beaucoup de plaintes pour les sortir de nos livres de référence. Dans « elle est toute surprise », on accorde l’adverbe « toute » au féminin alors que les adverbes sont toujours signalés comme invariables. Tout comme les accords obsolètes du participe passé avec l’auxiliaire avoir, que de très nombreux grammairiens demandent de réformer depuis bien longtemps. Quant au pronom « on », il renvoie indifféremment au masculin, au féminin, au singulier ou au pluriel. Le « on » serait pire que le « iel » ?

Bref, tout ce tintouin nous rappelle, il y a peu, la très vive polémique provoquée par la féminisation des noms de métiers dans la vie profane et qui continue de faire rage dans certaines de nos obédiences concernant l’emploi du féminin pour les fonctions, titres et plateaux. De même, à cette époque, il avait été fait appel comme pour le « iel » à la savante et sage institution de l’Académie française qui avait mis cinq ans (2014/2019) pour nous apporter ses conclusions en la matière (7). À cette époque, déjà, Bernard Cerquiglini disait : « Le masculin joue le rôle de générique, c’est ainsi. Cela fonctionne de cette manière depuis le latin vulgaire » (8). Mais cette idée très répandue fut démentie par les travaux d’Éliane Viennot, qui ont démontré que les mots autrice, avocate, écrivaine, officière, etc. étaient autrefois utilisés. Ces mots ont été délibérément condamnés à partir du xviie siècle, et par conséquent non-inscrits dans les dictionnaires (9).

L’Académie française après un laborieuse réflexion a fini par reconnaître en 2019 la féminisation des noms de métiers (10). Quant aux Obédiences maçonniques mixtes, certaines optèrent pour le libre choix de la féminisation des charges et titres par chaque loge, quand d’autres plus nombreuses posèrent dans leur constitution le maintien du masculin pour les fonctions, titres et plateaux générant ainsi lors des tenues une cacophonie genrée ridicule et grotesque constituant un méli-mélo entre les Grandes Maîtresses qui seraient des Grands Maîtres, les Maîtresses des Maîtres, les Oratrices des Orateurs, les Premières surveillantes des Premiers surveillants, mais aussi des sœurs gardiens du Temple, Trésoriers, Experts, etc... Le pire, sont les femmes qui revendiquent impérieusement ces titres et fonctions masculinisés, victimes probablement d’une frustration phallique qu’elles n’ont, à notre sens, pas réglée, considérant que le pouvoir, les titres et les offices ne se justifient et ne s’accordent qu’au masculin.

Alors, nous nous demandons s’il ne serait pas judicieux de soumettre aux prochains Convents une proposition concernant l’utilisation du pronom neutre « iel » pour déterminer ces sœurs qui considèrent que, d’une certaine manière et en certaines circonstances, elles seraient « non-genrées ».

Mais plus sérieusement, rappelons qu’en Franc-maçonnerie, nous revendiquons un projet d’émancipation universelle qui nous porte soro-fraternellement vers une société inclusive et humaniste où chacune et chacun se doit de respecter la liberté de l’autre dans le choix de sa différence.

____________________

1. Twitt du 16 novembre 2021.

2. Circulaire du 5 mai 2021 relative aux règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et les pratiques d'enseignement.

3. François Jolivet sur Twitter, le 16 novembre 2021 : « Le Petit Robert, dictionnaire que l’on pensait être une référence, vient d’intégrer sur son site les mots « iel, ielle, iels, ielles ». Ses auteurs sont donc les militants d’une cause qui n’a rien de Français : le #wokisme. J’ai écrit à l’Académie française. #LePetitRobert ».

4. Sur BFMTV, le 24 novembre 2021.

5. « Pourquoi Le Robert a-t-il intégré le mot « iel » dans son dictionnaire en ligne ? », dictionnaire.lerobert.com, 16 novembre 2021.

6. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Membres du Conseil des langues et des politiques linguistiques de la Fédération Wallonie Bruxelles, « Highway to ʺielʺ », Libération, 23 novembre 2021.

7. Lire « L’Académie française et l’emploi du féminin », Julien Vercel, criticamasonica.over-blog.com, 19 ; 22 et 25 juin 2019.
8. Cité dans « L'idéologie woke à l'assaut du dictionnaire Le Robert », Alice Develey, Maguelonne de Gestas et Marie-Liévine Michalik, lefigaro.fr, 15 novembre 2021.

9. Éliane Viennot, « La domination du masculin dans la langue française : un frein aussi puissant que mal connu », in actes du colloque du 3 décembre 2018 : Égalité femmes-hommes : levons les freins ! pp. 8-11.

10. Rapport du 28 février 2019, « La Féminisation des noms de métiers et de fonctions ».

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J
On peut être d'accord ou pas d'accord avec les thèses développées dans cet article et discuter son argumentaire.<br /> <br /> Mais déconsidérer a priori, sans même les présenter, les arguments de ses adversaires en les attribuant à "une frustration phallique pas réglée", cela sent très, très mauvais ...
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A
Considérer que seul le masculin doit être employé pour répondre aux charges, titres et plateaux quand ceux-ci sont tenus et assumés par des femmes relève tout simplement d’une imposture à l’endroit des femmes. Quant aux femmes qui acceptent et défendent cette position, en effet, nous pouvons nous interroger sur les éventuelles névroses qui les amènent à accepter de telles situations. Nous ne voyons pas en quoi cela « sent très, très mauvais » pour reprendre ce que vous écrivez ?