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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« De la défense des savoirs - Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche », de Claude Gautier et Michelle Zancarini-Fournel

Jean-Pierre Bacot

Ce livre publié par les éditions de la Découverte arrive à point pour éclairer la situation confuse dans laquelle se trouve l’université française, et au-delà, le milieu intellectuel. Les auteurs prennent le parti de celles et ceux à qui l’on reproche à la fois une forme d’islamo-gauchisme, entendons le fait d’essentialiser les Musulmans comme une sorte de classe sociale, et de sombrer dans une démarche d’intersectionnalité qui parcellise les disciplines et dilue l’universalisme dans des particularismes. Un certain nombre d’intellectuels, notamment les auteurs de « l’appel des cent » ont soutenu les membres du gouvernement et de la majorité qui pensent que la jeune génération des chercheurs en sciences sociales aurait abandonné les valeurs humanistes et universalistes, au profit d’une déviation identitaire marquée par la reconnaissance prioritaire des Femmes, des Noirs, des Homosexuels, etc. tout croisement étant possible comme chez la désormais paradigmatique femme noire et transgenre.

Claude Gautier et Michelle Zancarini-Fournel commencent leur démonstration par un parcours historique en identifiant trois moments de rupture quant au statut de la critique et à l’autonomie du savoir universitaire français. Il s’agit de l’affaire Dreyfus (1894-1899), de mai-juin 1968 et du mouvement contre la loi de programmation de la recherche qui eut lieu en 2019-2020 au début de la pandémie.

Dans un deuxième temps, ce sont les deux théoriciens Durkheim et Weber qui sont mis en cause dans leur lecture jugée dogmatique, au profit d’un nouveau rapport à l’éthique et l’exercice de la critique qui passe par l’analyse des dominations plurielles. Pour autant, poser, comme le font les auteurs, la nécessité d’un universalisme pluriel, pour ne pas dire pluriversalisme, est plus facile à écrire qu’à mettre en œuvre. Il s’agit en effet, au-delà de ce qui est proposé dans ce livre, de poser la domination dans toutes ses composantes. Il convient notamment d’identifier les dominations, que les marxistes appelaient volontiers « contradictions secondaires », pour mieux invisibiliser de fait les Noirs, les Femmes, les Homosexuels, etc. Mais, au-delà, il existe des processus de domination à l’intérieur des communautés. Reste à savoir également qui a le droit de parler de qui, au motif essentialisant qu’un Blanc ne pourra par exemple jamais connaître ce que ressent un Noir. On lira avec profit à ce sujet le très bon roman d’Abel Quentin, Le voyant d’Etampes, sorti en 2021 aux éditions de l’observatoire. À lire également, très près de notre sujet le Prix Goncourt 2021 de Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète histoire des hommes, paru chez Philippe Rey, fort bien écrit, mais qui pose de solides problèmes de construction.

Ce qui est en train de se passer dans l’université française et le monde éditorial relève à la fois d’un difficile passage de témoins entre générations et de la naissance d’un nouveau paradigme, ce qui affole à la fois les conservateurs et/ou réactionnaires et les progressistes universalistes, que l’on qualifiera volontiers aujourd’hui de traditionalistes. On notera également la prise en compte de théories d’origine anglo-saxonne qui viennent frapper de fouet ceux qui, en un mot comme en cent, donnaient priorité au social sur le sociétal.

La bataille, sinon la guerre, ne fait que commencer, en attendant la Grande Synthèse, à savoir une intersectionnalité hiérarchisée quant aux déterminations prises en compte. L’un des articles du numéro 20 de notre revue Critica Masonica consacrée aux émancipations, tentera de l’approcher avec un article d’Irène Pereira : « l’intersectionnalité, une notion émancipatrice mal comprise ».

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