Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Dans ce numéro double d’une revue qui fête discrètement son anniversaire (51 ans et 200 numéros, chapeau bas !), l’ami Paul Paolini nous présente une étude très fouillée sur un rituel de Royal Arch du chapitre Dovre, n°40, qui se réunissait à Christiania, l’actuelle Oslo. Le document a été rédigé autour de 1784. Le rituel est conservé dans les archives de la Grande Loge du Danemark. Il est rédigé dans un proto danois qui était aussi parlé en Norvège à cette époque et a été traduit vers 1980 par un maçon anglo-français, Jean Heineman. Mais il semble que l’original ait été écrit en anglais, affirme Heineman dans une lettre en 1978.
Paul Paolini nous offre en fin de numéro une traduction anglaise et française du texte. L’essentiel de la symbolique réside dans une voûte au delà de laquelle se découvre, préservé contre toutes les avanies, le volume de la Loi sacrée. Il s’agit à cette époque -et ce rituel en témoigne- d’un double mouvement : dégager une sorte d’aristocratie maçonnique avec une proposition d’après maîtrise et introduire des références chrétiennes dans un univers essentiellement vétérotestamentaire.
Notons qu’à la même époque, un mouvement sera comparable en France avec l’établissement en 1785 du fameux « régulateur » qui codifiera les quatre Ordres post-maîtrise, ce qu’avait déjà fait précédemment la Mère loge de Marseille. Le RER s’était installé, justement dans une logique chrétienne, en 1782 et le Rite Écossais ancien et accepté n’allait pas tarder à le faire également.
L’auteur va rechercher les premières apparitions de degrés comparables en Écosse, en Allemagne et en France, notamment à Paris et Bordeaux. Avec nombre d’illustrations, il regarde comment s’est construite, par les textes et les représentations graphiques, cette distinction d’une maçonnerie cherchant à se dégager du vulgaire et plongeant dans des éléments symboliques et rituels dont les premiers étaient nés dès les années 1720. Le précédent numéro de la revue avait insisté sur les premières occurrences françaises de ce Royal Arch. Paolini nous annonce la publication dans une prochaine livraison d’un hommage à René Desaguliers (René Guilly), le fondateur de Renaissance traditionnelle.
On citera la conclusion que Paolini propose de ce remarquable travail : « On passe sous silence aujourd’hui cette élaboration du XVIIème siècle, et la fiction selon laquelle la Maçonnerie a été fondée et formulée par le Roi Salomon, voire par Moïse tend à être considérée comme une vérité historique. Cela crée à tous égards une situation intenable, tant du point de vue de la méthode intellectuelle que de la stratégie quotidienne. »
On aura compris que la revue noire nous présente une fois de plus de quoi ravir celles et ceux qui s’intéressent aux sources historiques et symbolique de la maçonnerie.