Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Point de vue / L’opinion (doxa) ennemie de la démocratie ?

Le billet d’humeur d’Augustine et Melanctha

 

L’opinion ou « doxa » est une croyance qui n’est étayée sur aucun fondement, ce qui la situe au degré zéro du savoir. Nous en avons de vivants exemples tous les jours et plus particulièrement en cette période électorale.

L’opinion, à l’instar du « cri », relève selon Socrate de ce qui ne peut se contenir et l’analogie avec le « cri » conduit à penser qu’il y a dans l’« opinion » une réaction en lien avec l’enfance qui se traduit par la peur d’être contredit. Il suffit d’observer dans une discussion que seul celui qui « s’exprime » le plus fort finit par avoir le dernier mot sans avoir à justifier de la véracité de l’opinion qu’il énonce, pas davantage que de la valeur réflexive qui en découle. Ainsi, au travers de l’opinion ne s’exprime bien souvent qu’une position non questionnée révélant, de façon consciente ou inconsciente, la force déterminée et parfois agressive de l’individu qui s’exprime, plutôt que sa prétendue « pensée ».

Platon est le premier à avoir thématisé l’opinion en philosophie. Dans La République, il oppose la doxa (l’opinion) à l’épistémè (le savoir). Le savoir, c’est ce qui nous permet d’agir sagement alors que « l’opinion » fabrique le bouc émissaire, nourrit la division, engendre la colère et n’apporte que des solutions stériles. La période électorale, nous permet de le constater clairement, que ce soit Jean-Luc Mélenchon avec ses fanfaronnades de « moi je » à « je moi… » ; Éric Zemmour éructant ses phobies racistes ; Marine Le Pen qui lave le linge sale de sa famille pendant que ses amis la lâchent ; Valérie Pécresse qui nous refait le coup de la « karchérisation » et recycle « le grand remplacement » ; Yannick Jadot, avec « un tel et consorts… » ; Anne Hidalgo et son inflexible « foi de la charbonnière » ; etc. Et pendant que les opposants s’époumonent, Emmanuel Macron attend son heure, nous la jouant sur l’air de « mieux vaut tard que jamais… ». Cependant que sourdent, comme dans la chanson d’Alain Souchon, Poulailler’s Song (1), « on entend la conversation /De la volaille qui fait l'opinion »... Les opinions en tous genres qui n’hésitent pas à tordre le cou de la « raison » pour laisser place aux turpitudes de la tromperie et du mensonge.

Selon Tocqueville, « L’opinion publique mène le monde », elle exerce sur les individus une « tyrannie de la majorité » mettant ainsi la démocratie en danger (2). Avec l’aide du système médiatique, le pouvoir manipule « l’opinion publique », n’hésitant pas, si nécessaire, à quitter le forum de la délibération pour laisser place à la Doxa haineuse, porteuse de croyances et d’idées toutes faites, capable de balayer toute valeur pour ne laisser place qu’au lynchage et parfois au crime. En son temps, « l’affaire Dreyfus » en fut un terrible exemple.

La « démocratie d’opinion » a été mise en place par le pouvoir politique pour mieux maîtriser le peuple. Le premier institut de sondage, l’IFOP, a été créé en 1938, il sera suivi de beaucoup d’autres. C’est à partir de 1960 que ces instituts deviendront les outils les plus fallacieux mis au service des pouvoirs politiques pour arriver à leur fin, sachant que toutes ces entreprises sont détenues par des groupes financiers qui sont, évidemment, proches des grands partis politiques et des hommes qui les dirigent. Ils en seront les grands pourvoyeurs d’idées leur permettant de fabriquer des programmes politiques sur mesure, en fonction des attentes et des besoins du peuple, non pas pour satisfaire le peuple, mais uniquement pour en obtenir les suffrages. Ce sont ces sondages qui sélectionnent, trient, analysent, classent, hiérarchisent les sentiments, les passions, les frustrations et les peurs des citoyens faisant fi de la rationalité, de la connaissance et de l’expérience acquises par le peuple. Les résultats des sondages sont une manne pour les responsables politiques, ils ouvrent l’espace à une sondocratie intrinsèquement liée à vie politique qui sonde par tous les moyens et tous les prétextes la doxa. En période électorale, les sondages viennent inéluctablement influencer le vote des électrices et électeurs qui développent des votes « stratégiques » ou « utiles », se déterminant ainsi moins par affinité politique. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, la « démocratie d’opinion » n’est pas la « démocratie représentative », elle n’en est qu’une dérive dangereuse et cela laisse supposer que nous n’en avons pas fini avec les « gilets jaunes » et autres contestataires et insurgés…

La victoire de la bourgeoisie sur la noblesse au xviiie siècle fut celle des idéaux démocratiques. Aujourd’hui, que sont devenus les idéaux démocratiques de cette bourgeoisie dont une fraction, en prenant le pouvoir, n’a pensé qu’à s’enrichir, encore et encore ?

Rappelons-nous la célèbre phrase de Tancrède, interprété par Alain Delon, dans le somptueux film Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Ce superbe aphorisme reflète l’enjeu principal du roman éponyme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « changer et vivre, ou rester tel quel et disparaître progressivement » (3). N’est-ce pas le constat que nous pourrions encore faire aujourd’hui ?

La pandémie de Covid-19 nous laisse exsangues ; la guerre est aux portes de l’Ukraine ; le terrorisme continue de s’étendre dans le monde ; des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants migrent vers des pays qu’ils croient meilleurs ; notre planète est à bout de souffle, gangrenée par la pollution et notre surconsommation… Alors que parallèlement la faim et la misère continuent de tuer le plus grand nombre, les riches sont de plus en plus riches avec une concentration des richesses qui s’accentue d’année en année. Les aspects culturels, religieux et sociétaux, malgré les apparences n’ont guère évolué : les inégalités entre femmes et hommes, le travail des enfants dans certains pays, le manque d’éducation, tout comme les violences faites aux femmes sont pléthore. Bis repetita !

Tous ces faits ne sont hélas, pas des opinions mais de réels constats de société… Alors la question se pose sérieusement à la veille de ces élections : quelle candidate ou quel candidat à la présidence de la République peut nous assurer que les promesses de son programme ne sont pas fondées que sur la doxa mais plutôt sur l’épistémè qui est la valeur de la démocratie républicaine ?

 

____________________

1. Dans l’album Jamais content, 1977.

2. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835 et 1840.

3. Il Gattopardo, Milan, éd. Feltrinelli, 1958.

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article