Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Voici un ouvrage très intéressant qui fait utilement le point sur les personnages qui sont régulièrement invoqués pour illustrer l’histoire de la maçonnerie. Bernard Dat, qui n’en est certes pas à son coup d’essai, nous propose une dizaine de portraits détaillés de personnages réels ou légendaires qui se lisent agréablement et nous permettent d’utiles révisions. Le livre est publié chez Dervy (18 euros).
Le premier portait qu’on nous présente est celui de Jean-Théophile Desaguliers, pasteur et scientifique, fondateur reconnu de la première loge dite spéculative, après avoir été l’un membres de la Royal Society. Il sera le premier Grand-Maître de la Grande loge de Londres qui deviendra Grande Loge d’Angleterre, obédience-mère dont il rédigera les Constitutions.
De Pierre Ambroise Choderlos de Laclos, essentiellement connu pour son activité littéraire, en particulier les célèbres Liaisons dangereuses, Bernard Dat nous indique qu’il fut reçu maçon dans une loge militaire dont il fut vénérable et qu’il fréquenta pendant une trentaine d’année. On se demande comment il aura pu cohabiter avec des aristocrates qu’il avait violemment étrillés dans son roman.
Condorcet, « un précurseur de la pensée laïque », fondateur de la Société des amis des Noirs ne fut jamais maçon, au grand dam de celles et ceux qui en auraient volontiers fait une figure tutélaire de la maçonnerie, d’autant qu’il combattit l’antisémitisme et se montra très féministe pour son époque. Très ami des membres de la loge des Neuf sœurs, il restera le prototype de ce qu’il est convenu d’appeler les « maçons sans tablier ».
De nombreux tableaux parsèment l’ouvrage et nous aident à la compréhension des situations historiques dans lesquelles sont plongés les personnages. Celui qui illustre le chapitre consacré à Nicolas de Bonneville : « Un franc-maçon ( ?) révolutionnaire et anticlérical » surprendra plus d’un lecteur : la comparaison entre les grades maçonniques et les mots qui y sont associés avec ceux de la Compagnie de Jésus au XVIIIème siècle. Ces Jésuites, Bonneville les détestait cordialement.
Avec Albert Pike, nous passons au XIXème siècle. Pike fut rien moins que Grand Commandeur du Suprême Conseil des États-Unis et l’un des principaux développeurs du REAA en Amérique du Nord. Ce fut un grand syncrétiste, puisqu’il introduisit dans les rituels des éléments issus des mystères antiques, de la cabale, de la magie, de l’égyptologie, des hiéroglyphes, de l’alchimie, de l’hermétisme, sans préjudice de ce qui aura nourri jusqu’à aujourd’hui l’imaginaire des adeptes.
John Yarker, Manchestérien, fut un grand voyageur, un collectionneur invétéré de grades maçonniques, paramaçonniques et occultistes. Entre autres activités en la matière, il donna l’essor à une forme de maçonnerie opérative. Il construisit également une imposante bibliothèque. C’est une maçonne du Droit Humain, Miss Bothwell-Gosse, qui fit en sorte que le fonds de livres et de rituels ne soit pas dispersé à la mort de Yarker, sa veuve étant passablement désargentée.
Le personnage suivant est un Anglais, prêtre anglican, devenu évêque de l’Église catholique libérale. Charles Webster Leadbeater, fondateur de la Société Théosophique est représenté en couverture en compagnie d’Annie Besant. Les deux amis furent les fondateurs du Droit Humain, première obédience maçonnique mixte. Théosophe, Leadbeater fréquenta également Elena Blavatsky.
Quant à Aristide Briand, avocat nantais, 23 fois ministre et 11 fois Président du Conseil, il était membre du Parti socialiste français. Il devait être reçu à la loge le Trait d’union de Saint Nazaire en 1887, mais il ne se présenta pas le soir donné, sans doute nous dit-on pour des raisons politiques. Il fut en revanche membre des Chevaliers du travail.
Bernard Dat s’attaque pour finir aux diverses moutures de la figure d’Hiram. De nombreux tableaux et gravures accompagnent un texte qui retrace les variantes bibliques de cette figure du maître. Nous laisserons lectrices et lecteurs découvrir comment l’on passa d’Adoniram à Hiram, ce que Dat, en bon historien, exemplifie en détaillant ses sources.
En résumé, ce parcours autour de figures historiques et légendaires variées rappellera utilement certains aspects mal connus de l’histoire maçonnique et de ses marges. Il est possible que nous n’ayons à faire ici qu’à un premier tome. L’affaire est donc à suivre.