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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Eurafrique - Aux origines coloniales de l’Union européenne », de Peo Hansen et Stefan Jonsson

Jean-Pierre Bacot

Publié en 2014 en langue anglaise par deux chercheurs suédois en 2014, cet ouvrage fondamental vient de bénéficier d’une édition refondue à l’occasion de la sortie de sa traduction française par Claire Habart à la Découverte. Préfacé par Étienne Balibar, ce livre développe une thèse très intéressante, selon laquelle l’Union européenne serait dès son origine liée au processus colonial et postcolonial. Il s’agit en fait d’une sorte de face cachée de la construction européenne.

C’est à Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972 né au Japon, puis naturalisé français en 1939), partisan d’un mouvement paneuropéen, que l’on doit d’avoir développé, dès 1922, l’idée selon laquelle l’avenir de l’Europe passait par le développement des pays africains colonisés par les divers pays européens. Il s'agissait, entre autres nécessités de résister aux autres empires.

Les auteurs nous expliquent que ce projet a d’abord été pris en compte par les puissances fascistes latines, puis qu’il été relancé par ceux que l’on a appelé après 1945 les « pères de l’Europe », notamment Konrad Adenauer, Jean Monnet, Robert Schuman et Paul-Henri Spaak.

La France, qui commençait à comprendre qu’elle ne garderait pas longtemps ses colonies sous sa coupe, notamment l’Algérie, a mis toutes ses forces diplomatiques à construire une association entre plusieurs pays d’Afrique et ce qui se construisait comme Marché Commun. Hansen et Jonsson nous expliquent que le traité de Rome de 1957 comprenait un aspect méconnu - non point secret, car il ne s’agit pas là de dénoncer un complot - mais oublié par la doxa.

L’un des intérêts de ce travail est de s’appuyer non seulement sur une somme de recherches et de publications, mais aussi sur les cartes produites par des chercheurs et des politiques dans l’entre-deux guerres et après 1945 dans divers pays. Ces représentations montrent la rapide construction d’une convergence de vues, malgré les concurrences coloniales et aujourd’hui postcoloniales qui pouvaient perdurer. Aujourd’hui, ce que la France ou d’autres pays possèdent comme départements ou territoires ultramarins continue, comme on le sait, à fournir des produits alimentaires, des minerais et des aires de lancement de fusées.

Citant un grand nombre de recherches, ce livre explique que l’actuelle Eurafrique souffre d’une méconnaissance des deux côtés, et que son histoire devrait être enseignée pour que l’on puisse espérer sortir d’une logique de domination. L’idée générale de cette évolution, lancée par Coudenhove-Kalergi, est de construire une alliance des anciens colonialismes, pour que l’Europe puisse peser dans un rapport des forces mondial en constante évolution.

Aujourd’hui, les valeurs humanistes qui poussent à modifier le regard des européens sur leurs partenaires africains a été reconfiguré après la chute du mur de Berlin et a mis le continent noir en position d’arbitre des alliances, jouant avec la notion de non-alignement. Il s’agit pour l’Europe, dans un cynisme certain, de conserver le postcolonialisme sous contrôle mais, dans un certain empirisme, les États africains ayant aujourd’hui la possibilité de congédier leurs protecteurs ou de contracter avec des Russes, des Chinois ou des Américains, comme nous avons pu récemment le constater.

En tout état de cause, on se reportera avec bonheur, pour éclairer ces questions, au travail majuscule de nos chercheurs suédois. L’histoire récente de l’Europe est bâtie pour partie sur une sorte de légende. Les horreurs du colonialisme commencent à être bien connues, mais les caractéristiques du postcolonialisme demandent encore à être éclairées.

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