Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
La Bibliothèque nationale de France (BNF) ne fait pas que rendre accessible, via le site Gallica, des milliers de volumes sortis de l’oubli et qui, pourtant, firent le bonheur de lectrices et lecteurs du passé. La BNF publie aussi, via ses éditions, des livres de papier.
Voluptés. Plaisirs clandestins (Marie-Françoise Quignard, BNF éditions, 2019) fait partie de la collection de petits livres, « L’Œil curieux », et est consacré à la section de « L’Enfer » de la BNF. Marie-Françoise Quignard retrace l’histoire de cette section particulière qui, avant de s’appeler « L’Enfer » était, à partir du milieu du XVIIIe siècle, une sous-section de la section « Belles-lettres » regroupant alors 34 « romans licencieux ». De son côté, un peu plus tard, le cabinet des estampes procède à la même mise à l’écart des recueils d’« obscénités ». Il faut attendre la Monarchie de Juillet, après 1830, pour que ces ouvrages « contraires aux bonnes mœurs » soient conservés dans la Réserve des livres rares sous la cote « Enfer ». En 1870, la diffusion de la lithographie conduit à la création, pour les estampes, d’une cote « Enfer-sujets libres ».
Le fonds va grossir rapidement : environ 150 ouvrages licencieux en 1836 mais environ 880 en 1897. L’Enfer a la côte ! Les sources de cette croissance sont multiples : les saisies des services des douanes et les rebuts de l’administration des postes ; le dépôt légal ; certains rachats de bibliothèques d’aristocrates émigrés permettent d’enrichir le fonds de pamphlets et brochures révolutionnaires érotiques ; quelques dons aussi. Quant aux images, la croissance est, elle aussi, importante après l’apparition de la photographie à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.
L’évolution des mœurs et l’organisation d’une grande exposition sur Guillaume Apollinaire à la BNF ont raison de l’Enfer en 1969. Les livres sont recotés, certains rejoignent les œuvres « décentes » de leurs auteurs. Une cote spécifique est retenue pour les éditions anciennes de textes de qualité de l’Enfer et une autre pour les ouvrages de « basse pornographie » d’éditeurs clandestins.
Mais l’Enfer étant pavé de bonnes intentions, il rouvre en 1983 au nom de la cohérence du fonds et pour faciliter les recherches des lecteurs. Il regroupe maintenant près de 2000 volumes : des éditions rares du XVIe au XVIIIe siècle, des réimpressions du XIXe siècle et des éditions originales rares d’auteurs comme Guillaume Apollinaire, Georges Bataille, Louis Aragon ou Pierre Louÿs. Comme le note Marie-Françoise Quignard : « L’Enfer a perdu son côté mauvais genre pour devenir bibliophilique ».