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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Point de vue / La peur : l’art de gouverner au XXIe siècle ?

Le billet d’humeur d’Augustine et Melanctha

L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes le 24 février 2022 nous rappelle cruellement que nous ne sommes pas à l’abri des racines du mal : la peur. Et cette peur-là est bien réelle pour les millions d’Ukrainiens soumis à la violence de la soldatesque russe. Si la chute du mur de Berlin en 1989 suivie de l’effondrement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) a mis un point final à la guerre froide (1), elle n’a pas pour autant effacé les vieilles rancunes qui alimentaient les haines ancestrales des républiques soviétiques, dont l’Ukraine, qui en subit, depuis 2014, les sanglants affrontements.

Mais, ici, dans notre France estivale et vacancière, il faut reconnaître que la peur est souvent moins concrète même si elle est bien présente et souvent instrumentalisée comme art de gouverner. Elle est l’élixir qui vient galvaniser nos pires instincts dès l’enfance, mobilisée par nos proches avec les ogres mangeurs d’enfants et de femmes, les croque-mitaines, les loups-garous, les pères fouettards auxquels s’ajoute la litanie des sorcières empoisonneuses... Suivront plus tard, dans un registre moins enfantin et plus crapuleux, la peur du Juif, du Noir, de l’Arabe, de l’étranger, cet autre qui n’épouse pas nos traits, nos idées, nos ambitions.

À tel point qu’elle sera le support des cinéastes, des auteurs mais aussi des autrices qui l’utiliseront sans limites, tout comme les médias et nos responsables politiques, car ils ont compris que le spectre de la guerre, des émeutes, du crime et de la misère font mieux vendre que la paix et le bonheur. Ce sont ces peurs pernicieusement entretenues qui feront la matrice des exactions et de la haine, fertilisant ainsi le terreau de ce pourrissoir qu’est la peur.

Cette guerre dépasse de loin la seule frontière russo-ukrainienne. Ses retombées s’étendent à l’Europe, impactent le monde et, surtout, met au jour les faiblesses du néolibéralisme absolu dans lequel nous évoluons avec ses conséquences géopolitiques, énergétiques, etc. ; mais, plutôt que de remettre en cause notre système, les puissants de ce monde détournent notre attention et préfèrent entretenir le peuple dans une peur insidieuse et constante.

Dans les années 1920 et 1930 la peur du communisme a justifié le ralliement de la grande industrie et des grands propriétaires au fascisme et au nazisme. Quant à la peur du communisme dans les années 1940, elle sera d’une autre nature : Staline affamera le peuple et remplira les goulags. De 1939 à 1945, les nazis institueront une peur des Juifs qui nous fera commettre le pire, nous amenant (sauf les Justes) à nous faire complices de leur déportation.

Nous ne pouvons donc ignorer que la peur joue un rôle fondamental dans la vie politique d’un pays, elle permet aux dirigeants de mieux tenir la population. Nous l’avons constaté ces deux dernières années lors du Covid-19 avec son florilège de spécialistes en tous genres ressassant en boucle dans les médias que le pire était à venir, oubliant que les confinements ont été rendus inéluctables après des décennies de politique publique hospitalière néolibérale. La peur continue d’être entretenue avec le dérèglement climatique que nous vivons au rythme des incendies, avalanches, inondations, mieux qu’un film catastrophe ne le ferait, oubliant que les 1% des plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions de carbone que la moitié la plus pauvre de l’humanité (2). Et bien évidemment s’ajoute à cela la guerre russo-ukrainienne qui serait responsable de toutes nos misères sociales et de nos pénuries économiques, oubliant que les premières pénuries touchent déjà les pays les plus pauvres qui ne peuvent plus payer leurs importations alimentaires et énergétique.

Si la peur est un appel à la prudence, elle n’empêche pas comme le dit l’adage « d’éviter le danger ». Quant à la peur, qui s’impose à nous au hasard de l’actualité, elle est parfois volontairement fabriquée dans le seul but de nous manipuler. Nous comprenons combien la tentation est forte pour les gouvernements d’user et d’abuser de ce stratagème. La peur est en effet un moyen de faire obéir les individus, voire les soumettre. C’est pour cela qu’il faut suivre la sagesse de Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ? où il ne fait qu’exhorter l’individu à oser penser par lui-même : Sapere aude !, seule réponse à la peur (3).

La peur nivelle, abaisse, avilit, allant jusqu’à pousser les individus à divers moments de l’histoire à la délation, voire au meurtre. Elle est un des ressorts fondamentaux des régimes totalitaires, alors assurément, la peur a une dimension politique.

Avec les nouveaux virus, le changement climatique, les relations internationales de plus en plus tendues apparaissent aujourd’hui de nouvelles peurs. Les régimes autoritaires appuient leur pouvoir sur elles pour tenir le peuple sous leur joug. Les démocraties étaient censées ne pas avoir besoin de la peur pour gouverner, cependant elles l’exploitent pour inquiéter les électeurs lors des campagnes électorales. Il n’est donc pas négligeable de revisiter nos fondamentaux afin que l’instruction nous fournisse toujours les outils de notre émancipation, libérés de toutes les peurs qui contraignent encore aujourd’hui à se mettre à genoux.

Et si nous nous demandions ce qui nous fait vraiment le plus peur ? Nous devrions finir par croiser la mort et son impossible représentation : « Notre propre mort ne nous est pas représentable et aussi souvent que nous tentons de nous la représenter, nous pouvons remarquer qu’en réalité nous continuons à être là en tant que spectateur » (4). Parce que nous ne savons pas précisément où la situer, la mort ne serait-elle pas l’objet de toutes nos peurs et de toutes nos lâchetés ?

____________________

1. La Guerre froide commence en 1945-1947 et dure jusqu’en 1989. La chute des régimes communistes en Europe est rapidement suivie de la dislocation de l’URSS en décembre 1991.
2. Rapport Oxfam, « Combattre les inégalités des émissions de CO2 », 2020.
3. Emmanuel Kant,
Qu’est-ce que les Lumières ? / Was ist Aufklärung?, 1784.
4. Sigmund Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », Essais de psychanalyse. 1915. Texte paru en 1920 (trad. Dr. S. Jankélévitch), revu par l’auteur. Réimpression : Paris : Éditions Payot, 1968, (pp. 235 à 267).

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A
Même pas peur<br /> Mais excellente réflexion
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L
« L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l’équation. » <br /> Averroès (1126-1198)
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R
Croire au bien, au beau, à la fraternité peut aider quelquefois pour surmonter nos peurs sur terre.<br /> Bon courage à tous pour essayer d'aider autour de soi car nous sommes de grandes valeurs pour ceux qui nous aiment<br /> FRATERNITE
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