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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les ordres de sagesse du rite français, une histoire marseillaise (2/2)

 Jean-Pierre Bacot

 

Cet article est constitué en deux parties, dont la première est consultable sur ce blog.

 

Revenons sur le premier point évoqué dans notre première partie, celui de la ressemblance entre les rituels du Grand Orient et ceux de la Loge mère de Marseille. Le premier grade s’appelle « Maître élu, dit des neuf ». Nous nous étions toujours demandé où était passé l’« Élu secret » du Régulateur et d’où venait ce « Maître élu » parfois évoqué. Eh bien, c’est trouvé, il vient de Marseille. Le quatrième ordre est le même, le deuxième et le troisième s’approchent des ordres anciens aussi bien qu’actuels, encore plus par les rituels que par l’intitulé. Ceux et celles que cela intéresserait et qui possèdent ces degrés pourront le vérifier. En conséquence, et quelles que soient les réticences des Marseillais à partager leur corpus à cette époque prérévolutionnaire, Paris et Roettiers de Montaleau se sont un peu moqués de nous et même beaucoup dans leur affirmation de synthèse originale.

Ces trois ordres qui suivent dans l’échelle marseillaise sont : « Écossais vrai d’Écosse », « Chevalier de l’Épée », « Souverain Prince Rose-Croix ». Comme nous venons de l’écrire, nous avons lu et relu tous les rituels qui ont été publiés, et nous pouvons garantir que l’esprit et la lettre sont presque les mêmes. Quatre degrés après la maîtrise. Montaleau aurait pu en prendre davantage, ou moins, il choisit l’équilibre marseillais préexistant, c’est déjà étrange, et il nous paraît impossible que pour le fond, il ne s’en soit pas inspiré. Le plagiat n’ayant rien de glorieux, nul n’en a dit mot. Signalons tout de même que le cinquième ordre n’existait pas à la Grande loge de Marseille.

Deuxième et dernier point de cette histoire, ce que nous appellerons le jésuitisme des érudits de la Grande loge de France. Ils sont, comme tout le monde le sait, de rite écossais, un rite codifié en 33 degrés en 1804 par des esclavagistes chassés de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, avec à leur tête le Comte de Grasse Tilly qui avait hérité de son père une plantation et donc une traite négrière et s’est sauvé de l’île comme un voleur.

Louis Trébuchet et les divers auteurs du livre collectif dont j’ai parlé ont effectué de très belles recherches, c’est indéniable. Mais, comme d’habitude, ils font semblant de prendre en compte pour eux-mêmes un héritage direct dans des structures qui se disaient écossaises, comme tout le monde à cette époque, y compris dans la première Grande loge de France qui est l’ancêtre du Grand Orient. Sauf qu’en 1812, aux derniers feux de notre obédience marseillaise, la Grande loge écossaise de Marseille continuait à travailler avec son échelle de sept degrés : apprenti, compagnon, maître et les quatre degrés dont j’ai parlé. La Grande loge de France a le culot d’appeler aujourd’hui Grande loge écossaise de Marseille la réunion de ses loges provençales qui travaillent en 33 degrés, sur un tout autre système et même de reprendre l’écusson ! Si cela ne constitue pas de la récupération, cela y ressemble fort.

Quant à la disparition de l’obédience marseillaise, autour de 1814, elle n’a pas été documentée, à notre connaissance en tout cas. Il semble que cela soit son opportunisme, à savoir sa référence à Napoléon, voire même à Saint-Napoléon, qui lui ait coûté très cher après l’abdication de l’Empereur, l’arrivée d’un roi de France et de Navarre, puis les cent jours, et enfin Waterloo. Vu le développement d’un réseau international, il serait intéressant de voir comment il s’est ensuite délité. Avis aux amateurs.

Bref, on l’aura compris, tout passe par Marseille dans cette affaire de post-maîtrise à la française, et dans une totale ambiguïté. Nous n’avons pas écrit ces lignes pour embrouiller les neurones de nos lectrices et lecteurs  mais quelque part pour rendre hommage à cette obédience et à son indépendance, cette Grande loge Saint-Jean d’Écosse qui connut d’entrée une dimension internationale, largement méditerranéenne, et qui résista à chaque opération de récupération. Nous avons essayé de l’aider à notre manière, post-mortem, puisqu’aussi bien le Grand Orient de France pour le quasi pillage du rituel que la Grande loge de France pour la récupération de l’intitulé de la structure,  nous ont passablement intrigué depuis assez longtemps, avant que nous nous mettions à poser calmement les problèmes. Les deux obédiences françaises auront essayé de mettre la main sur elle, de récupérer son héritage. Mais c’est un des titres de gloire de cette belle cité phocéenne, attachante et exaspérante, qu’elle est irrécupérable, tant qu’elle est vivante en tout cas.

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P
Je découvre.<br /> Ça décoiffe.<br /> La démystification est toujours salutaire.<br /> Je continue la lecture.<br /> AF
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R
A ceux qui savent voir et écouter la vie et l'expérience donnent un peu de sagesse...
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