Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Alain Bellet
Un public populaire et une certaine presse people s’enthousiasment toujours pour les histoires amoureuses des rois et des reines des siècles passés, de Grande-Bretagne ou d’ailleurs, des têtes couronnées d’Europe du Nord ou des petits princes du caillou de Monaco jusqu’à la famille des Windsor aujourd’hui...
Mais par-delà le glamour aux lions d’or ou fleurdelisé, aucun travail de référence n’existait sur la place occupée par les maîtresses et les enfants illégitimes des monarques du royaume de France.
Pourtant, dans la période qui vit triompher l’avènement de l’absolutisme avec l’arrivée de la dynastie des Bourbon inaugurée par Henri IV, les amantes royales et leur progéniture occupent une place de premier plan dans l’histoire de l’organisation familiale de la monarchie. Comment la famille officielle peut-elle tolérer ce voisinage, alors que sur elle reposent la légitimité et la continuité du pouvoir monarchique ?
C'est à ces questions que l’historienne Flavie Leroux, docteur en Histoire et civilisations de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, chercheuse au Centre de recherche du château de Versailles, répond avec érudition et bonne connaissance des acteurs et actrices de cette geste singulière.
En revisitant le quotidien des règnes de la dynastie des Bourbons, d’Henri IV à Louis XVI, elle donne une vraie place aux maîtresses successives et à leurs enfants illégitimes, aussi bien dans l'idéologie monarchique que dans la réalité du pouvoir et de la vie de cour, du Louvre à Versailles, en passant par Saint-Germain ou Fontainebleau.
D’après Flavie Leroux, l’absolutisme ne constituait pas un pouvoir sans limite, un despotisme outré qui aurait permis au roi de France d’agir dans tous les domaines selon son bon plaisir. Cette étude récente venant d’être publiée par les éditions Passés/Composés en apporte la preuve.
Dépasser les limites de la monarchie française
En se penchant sur les familles adultérines des Bourbons, l’autrice met en lumière la volonté d’outrepasser certaines limites que les lois structurelles du royaume imposaient aux souverains du plus puissant royaume d’Europe. Le Vert Galant ne fut pas le premier souverain de France à multiplier maîtresses et enfants bâtards, dans la lignée de Charles VII, Charles VIII, Henri II et Diane de Poitiers, mais il eut l’audace d’institutionnaliser sa relation adultérine avec Gabrielle d’Estrées. En dotant la nouvelle Duchesse de Beaufort et Marquise d’Estrées de reconnaissances nobiliaires et de revenus mirifiques, en légitimant ses enfants, en les pourvoyant de biens et de titres, Henri IV allait jusqu’à envisager un mariage après l’annulation de son union avec Marguerite de Valois, lorsque son amoureuse mourut en portant leur quatrième enfant.
De La Presque Reine à La Montespan
D'abord famille de substitution sous Henri de Bourbon, avec La presque reine et ses enfants, désormais titrés et nommés Bourbon-Vendôme, favorites et enfants naturels s'imposent officiellement à la cour de France. Avec Henriette d'Entragues, Louise de La Vallière, puis Madame Françoise de Mortemart, Marquise de Montespan, une seconde famille s’organise en parallèle de celle que la sainte église catholique et romaine a sacrée et bénie. Le monarque les garde auprès de lui et en dispose à son gré au voisinage rapproché de la reine de France et de sa lignée légitime.
En l’absence du roi, cette seconde famille peut parfois représenter un danger pour l'équilibre des pouvoirs, jusqu'à susciter des conflits avec les autres princes. Pour Flavie Leroux, cette contre-famille va lourdement concurrencer la véritable famille à un point tel qu’à la mort de Louis XIV, c'est l'intégralité du pouvoir des Bourbons qui est mis en péril par cette nouvelle organisation. En réalité, ce qu’Henri IV et Louis XIV ont remis en cause, c’est l’exclusion dont souffraient leurs enfants issus d’une relation extraconjugale, à la frontière presque matérielle du périmètre de la cour.
Le roi veut changer les règles
En les légitimant, leur donnant un rang, un titre, une position, le monarque va jusqu’à franchir les limites de l’acceptable en ouvrant la succession monarchique à ses fils illégitimes nés de ses amours avec Mme de Montespan, ce que la Cour, l’Église, mais aussi la société d’alors ne pouvaient accepter. L’ouvrage démontre avec justesse et précision que l’Ancien Régime était construit selon un cadre législatif rigoureux quant au mariage, à la procréation, et au droit à la succession royale.
De seconds, après les princes du sang, les enfants bâtards devenaient leurs égaux. Le monarque « rompt, nous dit l’auteur, avec les règles de dévolution dynastique reposant sur la naissance en légitime mariage, pour privilégier la descendance issue de lui seul. »
Or, le monarque ne choisissait pas son héritier. Très vite après la mort de Louis XIV, toute la construction que le défunt roi avait élaborée pour confier la régence du royaume et l’éducation du très jeune dauphin à Louis-Auguste de Bourbon, Duc du Maine, à la place de Philippe D’Orléans, son neveu légitime, fut détricotée.
Louis XV poursuivra le parallélisme des familles choisies d’une part et/ou légitime de l’autre, avec ses favorites successives et leurs châteaux en pleine propriété, levant même une nouvelle barrière en faisant de Jeanne-Antoinette Poisson, Marquise de Pompadour, une réelle femme de pouvoir impliquée dans la gestion politique du royaume.
Quant au règne de Louis XVI, les images publiques se renversent. Le roi passant aux yeux de l’opinion publique naissante pour un homme éloigné des femmes, voire un impuissant, si bien que le peuple accusera la reine Marie-Antoinette d’adultère.
Entre famille, pouvoir et société, l’autrice dévoile alors en contrepoint l’inévitable destinée de la monarchie française à l’aube de la Révolution française.
Ce livre se laisse dévorer comme une sorte de roman haletant où l’on découvre dans un pli de l’Histoire, et derrière elle, des personnalités attachantes ou monstrueuses, avides de pouvoir et de reconnaissance, mais aussi parfois particulièrement vénales.
Pas facile de tenir la distance entre le sérieux du documentaire et une discrète invitation de proximité, dans le champ des relations privées. Flavie Leroux nous offre ici un ouvrage délicat, curieux et passionnant.