Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
L’idée libre, l’une des revues de la Libre Pensée, association fondée en décembre 1911 se définit ainsi : « L'Idée Libre est la revue du rationalisme expérimental sans dogme sans livre sacré. L'Idée Libre est la revue de l'individu qui conquiert ses libertés, de l'autodidacte qui pratique les recherches dans tous les domaines ». Elle consacre son numéro de décembre à l’Afrique du Sud. Cette livraison constitue une véritable leçon d’histoire. La revue est en effet allée rechercher les meilleurs spécialistes, n’hésitant pas à se livrer à un travail de traduction lorsqu’il s’agit de chercheurs anglo-saxons. Le numéro commence par une très utile chronologie, avant un dossier que Fabien Jeannier, qui le coordonne, considère comme un « sombre passé et un présent complexe ».
Jean-Louis Alessandri nous parle des très meurtrières guerres des Boers, ces paysans d’origine hollandaise défendant bec et ongle l’esclavagisme qui se sont affrontés à deux reprises à l’armée britannique. Le deuxième conflit que l’auteur étudie constitua entre 1899 et 1902 une véritable lutte pour le contrôle de l’Afrique, les Irlandais s’en étant emparé en Europe pour contrecarrer les Anglais et les Allemands qui étaient intervenus auparavant, observant des territoires qui leur échappaient.
Lybon Mabassa, ancien militant de la cause des Noirs fait le bilan de ce qui s’est construit comme conscience noire, pendant et après l’apartheid. L’auteur s’intéresse en particulier à Steve Biko (1946-1977), l’un des principaux militants d’une cause qui eut une portée mondiale. Cet article et déjà paru sous une forme plus longue dans la Revue de la IVème internationale la Vérité. Le republier aujourd’hui n’est pas sans intérêt dans un contexte de reprise du racisme.
Suit le souvenir par Fabien Jeannier de ce que fut, le 16 août 2002, le massacre de Marikana, lorsque la police sud-africaine fit 34 mots et 68 blessés parmi des mineurs en grève. L’article reprend deux coupures de presse de l’époque dans lesquelles on apprend que les tueurs, qui avaient utilisé des hélicoptères, ont invoqué la nécessité de se défendre. La lutte des classes, la conscience noire, il y a là illustration de la nécessité d’études intersectionnelles.
Julian Brown revient pour sa part sur cette tragique affaire de 2002 pour regarder la mémoire qui s’en est construite en dix années. L’actuel président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa était responsable syndical au moment des faits, ce qui aide les millions de personnes concernées à ne pas oublier. Pour Brown, ce qui s’est passé a relevé à la fois d’un crime raciste et d’une volonté farouche de préserver les intérêts d’un capitalisme minier qui se sentait menacé.
Asonzh Ukah fait le point sur le rôle joué par la religion dans l’histoire et la vie sociale de l’Afrique du Sud. Il y a un siècle, une grande majorité des habitants pratiquait des rites indigènes. Mais, depuis, le christianisme, notamment l’anglicanisme, et l’Islam, ont fait des progrès et semblent cheminer pacifiquement de concert, à toute fin de préserver la paix sociale. On ne peut guère parler de laïcité dans ce pays et l’on pourra s’étonner de trouver dans cette revue un article qui juge la religion consolatrice.
Fabien Jeannier, décidemment très productif, travaille dans son article sur les dynamiques urbaines dans « le pays le plus inégalitaire au monde ». Il envisage les cas du Cap et de Johannesburg. Dans les deux cas, la ségrégation spatiale règne encore dans le pays, trente années après la chute de l’apartheid. De plus, Johannesburg étant l’une des villes les plus violentes du monde, nous dit l’auteur, les gens aisés ont tendance à se barricader dans les quartiers huppés.
« Le cinéma en Afrique du sud », tel est le sujet d’un autre papier, signé Alain Vauchelle. Depuis 1930 et Black Traditional Life qui fit date, ont été produites des œuvres critiques et comiques. La liberté d’expression qui règne désormais dans le pays et les aides dispensées par le gouvernement incitent des réalisateurs étrangers à venir tourner sur place, ce qui semble réagir positivement sur la production locale.
Bernard Cros s’intéresse à un des éléments identitaires du pays, le rugby. La victoire du quinze local à la coupe du monde à Tokyo en 2019 aura été celle d’une équipe racialement mixte, formée de Noirs, de Blancs et de Métis, ce qui aura définitivement battu en brèche l’un des dernier bastions des Afrikaners, lesquels ont fini par admettre que leur position était devenue intenable.
Dernier article, celui de Christine Laubary-Besson qui revient sur des événements qui se sont produits en 1968, quand un joueur de cricket métis, Basil d’Oliveira, avait été sélectionné dans l’équipe nationale. Cela entraina une polémique entre les tenants d’un strict apartheid et ceux qui voulaient voir le pays reprendre place dans les compétitions internationales. La rédaction de la revue souligne que ce fut « le dernier chantier » de l’auteure, « passée à l’orient éternel à l’équinoxe d’automne »
Malheureusement, le portrait de Xavier Bertrand qui est proposé ensuite hors dossier par Nicole Aurigny nous gâche quelque peu le plaisir. Certes l’auteure est libre de ne pas apprécier ce que fut l’action locale de cet homme politique, de critiquer vertement ce qu’il fit lorsqu’il était ministre, de considérer qu’il eut une responsabilité dans des scandales médicaux, d’estimer que son ancienne appartenance au Grand Orient de France ne lui aura pas donné un brevet de laïcité. De là à le ranger dans la rubrique : « Les hommes du Vatican » me semble plus qu’exagéré. Il se trouve sans aucun doute des centaines d’hommes et de femmes politiques à faire passer avant lui dans cette galerie des bigots...