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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La douceur masculiniste - Le sacré dans tous états, au risque de la profanation

Jean-Pierre Bacot

« Le sacré dans tous ses états, au risque de la profanation » ainsi est titré le dix-septième numéro des Cahiers de l’Alliance. Le nouveau Grand Maître de la GLAMF, Pierre Lucet introduit le dossier qui commence par une proposition d’un des piliers de la revue, Gaston-Paul Effa, lequel trace un cadre philosophique de la question du sacré, situant le concept hors des religions, mais dans une sorte de déification de l’homme et, en tous cas du Frère. Le sacré « n’est pas un exercice spirituel », mais « une tendre attention aux choses ». Nous y voilà donc d’entrée. La tendresse, mes Frères.

Sociologiquement, la lecture de ces Cahiers permet de comprendre ce qui pousse certains maçons à refuser la mixité. Ce n’est pas tant le thème de la séduction, qui, s’il était dominant, exclurait les homosexuels des loges, que celui de l’exercice d’une sensibilité masculine qui s’entrechoque avec l’image sociale dominante du mâle et qui fait que, la larme à l’œil, il ne pourrait supporter le regard des femmes.

Certes, il en est une, de femme, dans l’écriture de la revue : Mina Djaad, dont le métier est de proposer aux cadres une sorte de retraite qui entend bousculer les habitudes de ressources humaines. Elle participe régulièrement aux Cahiers. Cette fois-ci, elle secoue sérieusement l’œuvre d’Albert Camus, humaniste athée, de qui elle tire une étrange « ode charnelle au sacré », dans une sorte de panthéisme. On reprendra ici, avec une certaine distance, le sous-titre de ces Cahiers, d’ailleurs oublié par les auteurs : il s’agit d’une profanation et Camus, dans sa tombe, se retourne et s’écrie : « c’est absurde ! ».

Éric Vinson, tente de définir le spirituel et finit par une proposition : proclamer une spiritualité non religieuse ou non confessionnelle, plutôt qu’une spiritualité laïque, dont on ne sait pas trop ce qu’elle recouvre. Il conclut par une sorte d’incantation par rapport à l’état du monde : « changer de paradigme culturel dont le spirituel authentique fera nécessairement partie et constituera sans doute le cœur. ». Il faudrait fonder le Parti Spiritualiste Français.

François Xavier Tassel s’attaque à un triptyque original : sucré, salé, sacré pour tenter une vision finalement optimiste du monde que nous vivons, qu’il s’agit de subsumer dans une sorte de pansacralisme. En gros, tout peut être sacralisé. De fait, il pourrait s’agir, faute de projet révolutionnaire ou réformiste, de se construire un imaginaire pour essayer de tenir le coup dans ce monde de brutes. C’est en fait tout l’effort des Cahiers, numéro après numéro, qui est ici résumé.

Jean-Claude Tribout trace un excellent tableau de ce que fut, au cours des siècles, la querelle des images et des icônes. Peut-être conviendrait-il d’ajouter à ce paysage un élément : les iconophiles ont recherché à se préserver du judaïsme, puis de l’islam, même si des découvertes archéologiques ont permis de tempérer la dureté aniconique de la loi mosaïque. Reste un point fort qui mériterait d’être actualisé : l’image comme remède à l’illettrisme, sans parler de la fameuse phrase du Capriccio de Richard Strauss : « prima la parola, prima la musica ? »

Justement, à propos de mise en musique, François Chauvancy commence son analyse de la sacralité comme support d’une nation par un extrait d’un couplet de la Marseillaise « Amour sacré de la Patrie, conduis, soutien nos bras vengeurs », avant de proférer une énormité : « Une agression conduit à la résistance des peuples, à l’affirmation de leur patriotisme comme en 1940 où l’immense majorité des Français a combattu l’agresseur ? » Cela s’appelle, sauf erreur, du révisionnisme.

Jean Dumonteil revient sur un thème classique, le sacré dans le vocabulaire des rituels. La notion est, de fait, bien plus présente dans certains textes que dans d’autres, et ce dès le XVIIIème siècle. Il s’agit, pour le Rite écossais ancien et accepté par exemple, de dépasser la Raison, de rechercher l’Unité des contraires, de dépasser l’ambivalence et de définir le Temple comme espace sacré.

Dans le rite Émulation, il existe, à l’anglaise, une sorte de religion naturelle empruntée à Newton et rejoignant la «  loi naturelle » de Calvin, comme nous l’explique Gérard Mayau. Il s‘agit bien d’un rite protestant, la Bible étant considérée comme un « Volume de la Loi Sacrée », mais ramenée à un symbole qui laisse à chacun une liberté d’interprétation. Quant aux cérémonies, elles jouent principalement sur l’aspect émotionnel.

Dans un post-scriptum, Jean Dumonteil se lance dans une méditation qui vise d’abord à une sorte de purification conceptuelle : « N'est profane que ce que nous profanons », avant de passer à la sacralisation de nos vies, de nos frères. L’auteur n’hésite pas à qualifier Durkheim, Mauss, Otto (philosophe des religions, NDLR), puis Eliade de « quarteron de théoriciens qui ont façonné et développé une triste et froide représentation du sacré ». Donc, loin des lectures sociologiques ou anthropologiques ennuyeuses et universitaires, il s’agirait de vivre un sacré entre gaité et chaleur, loin de l’intellectualisme.

Le sujet de ce numéro poussant à l’illustration, on se dispensera de louer une fois de plus la qualité que représente esthétiquement cette revue. Nous voudrions en revanche insister sur le fait que la qualité de l’écriture enfonce ce qui peut se produire par ailleurs dans la littérature spiritualiste d’inspiration maçonnique. Qu’on adhère ou non aux propositions travaillées, on ne peut que rendre hommage au sérieux de cette production.

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