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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Inépuisables années 30 - Quinzinzinzili (n°49)

Jean-Pierre-Bacot

Ce numéro commence par une affaire de docteurs. D’abord une lettre de Pierre-Georges Castex de 1951, adressée à Ralph Messac (journaliste, fils de Régis, père d’Olivier) où il discute du mot « fantastique » accolé au substantif littéraire. Castex se présente comme le futur directeur de thèse de Jean-Jacques Bridenne sur la littérature française d’imagination scientifique. Castex vient de soutenir sa propre thèse qui deviendra, éditée chez Corti en 1950, Le conte fantastique en France, de Nodier à Maupassant. Rappelons que Régis Messac avait passé son doctorat avant-guerre avec ce titre qui fit date. Le « Detective Novel » et l'influence de la pensée scientifique (thèse), Honoré Champion, 1929 ; nouvelle édition, corrigée et annotée, préface de Claude Amoz, postface de François Guérif, Les Belles Lettres, collection Encrage/travaux, 2011). C’est ainsi que la littérature populaire fit son entrée à l’Université, Régis Messac en tête de pont.

Le docteur Jean-Luc Buard présente ensuite un éditorial où il annonce un texte inédit de Régis et un récit de la bataille idéologique qui opposa des écrivains communistes et surréalistes. Avant d’en venir à cette nouvelle contribution de Quinzinzinzili au débat d’idées dans les années trente, hommage est rendu au docteur Roger Bozzetto qui vient de disparaître et fut un pionnier de la recherche en littérature scientifique et en science-fiction. La revue nous fait également l’amitié de relayer l’appel à contributions de la revue Critica pour un prochain numéro sur «Retrouver la Lumière ».

Régis Messac, Georges Bataille (en photo de couverture), André Breton et quelques autres. Nous sommes en 1936 et nombre d’intellectuels se liguent « pour abattre l’autorité capitaliste et les institutions politiciennes », autour d’un mouvement appelé Contre-attaque. Mais les surréalistes saborderont ce front unique. L’affaire est racontée en détails par Guibert Lejeune.

À la suite, Peter Schöttler se lance dans le débat qui eu lieu entre Marc Bloch et Albert Rivaud, à propos des problématiques du moment : le réarmement de l’Allemagne, l’éducation, la famille, la religion. Si les deux hommes se retrouvaient, malgré des options différentes, sur la nécessité de la réflexion philosophique, Rivaud haïssait le sociologie, amenée dans le champ intellectuel par Émile Durkheim. Bloch, historien fondateur avec Lucien Febvre de l’École des Annales passa à la Résistance, finissant comme Régis Messac, non pas dans un camp de la mort, mais fusillé par les nazis après avoir croupi dans une geôle de la Gestapo. Rivaud s’en alla quant à lui manger chez Pétain. Il ne fut pas inquiété, écrivant régulièrement dans la Revue des deux mondes, se battant pour la libération de Charles Maurras, puis participant à la naissance de l’association pour la défense de la mémoire du Maréchal et s’éteignit tranquillement en octobre 1956.

Cette défiance envers les sciences humaines et sociales émergeantes nous rappelle furieusement la panique soulevée aujourd’hui à droite et à l’extrême-droite par l’arrivée des études culturelles et, a fortiori de l’intersectionnalité et les partages qu’elle implique.

La revue publie également un article sur Coutances à l’heure allemande de Régis Messac qui aurait dû paraître jadis dans les Cahiers de Normandie, mais passa à la trappe. Cela permet de revenir sur ce texte qui décrit si bien l’ambiance délétère qui conduisit Messac à la Résistance, et fût enfin publié en 2018 aux éditions ex Nihilo.

Richard Saint-Gelais, spécialiste canadien-francophone de la science-fiction et de la recherche des pseudos s’attaque à un thème classique, le futur antérieur. Il structure son propos en deux parties : « Imbriquer le narratif et l’encyclopédique » et « modernisme de la (proto) science-fiction ». On mesure ici la force de ce magazine qui sert de relais entre les chercheurs, les lecteurs, parfois également spécialistes, et le monde de l’édition. En termes sociologiques, il se trouve au centre d’une configuration vertueuse.

Jean-Ray (1887-1964) fut quant à lui un journaliste belge, bilingue, scénariste de bandes dessinées, romancier prolifique. Il se fit connaître dans le domaine de la littérature fantastique. C’est ce que nous décrit Jean-Guillaume Lanuque qui signale au passage que les éditions de l’Arbre vengeur viennent de publier de cet homme, que l’auteur de l’article classe dans la catégorie des écrivains-maudits, un joli texte : Les derniers contes de Canterbury qui offre, nous dit Lanuque, un pont entre le merveilleux d’antan et le fantastique moderne.

Dernier personnage à bénéficier d’une étude, Henri Barbusse (1873-1935), dont Clodomir Frénois nous rappelle qu’il fut auteur de contes avant de devenir célèbre avec Le Feu, journal d’une escouade, 1917. Ces Contes du matin écrits entre 1910-1914 viennent d’être publiés aux éditions Mi Li Ré Mi avec une préface de Jean-Paul Morel et une postface de Jean-Luc Buard.

Vient enfin, avant le traditionnel mot-croisé, un extrait d’un roman encore inédit, mais pas pour très longtemps, de Régis Messac, L’Homme assiégé, grande fresque autobiographique écrite à Coutances en 1943, peu avant son arrestation et qui paraîtra bientôt aux éditions Grange-Batelière. Olivier Messac en publie quelques belles pages où l’auteur raconte sa vie d’enseignant dont voici les dernières lignes qui ne manquent pas de résonner aujourd’hui : « Mais à quelles sortes d’élèves faut-il ainsi communiquer, à travers tant d’obstacles, les beautés du rudiment ? Quelle jeunesse, quelle élite enfantine se montre digne et capable d’apprendre et de comprendre parmi tant de traverses ? Ah ! c’est là ce qu’il y a de plus incroyable dans mon incroyable situation, songeait tristement Mandar. Qui le croira ? Personne. Personne ne voudra jamais croire que, parmi les rejetons de la bourgeoisie d’une grande ville, il se trouve de quoi monter une pareille ménagerie. »

Nous attendons avec impatience le numéro 50, qui marquera sans aucun doute une étape pour cette revue créée en 2008 et à laquelle nous souhaitons longue vie, tant, répétons-le, l’œuvre de Régis Messac et de ses contemporains montrent que les leçons du passé, si elles ne suffisent pas hélas à sauver les foules des ténèbres, nous aident à rester en éveil.

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