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CRITICA ▲

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« La première guerre d’Algérie - Une histoire de conquêt et de résistance (1830-1852) », par Alain Ruscio

Jean-Pierre Bacot

Un pavé de 750 pages, mais aussi un pavé dans la marre des partisans du colonialisme, et il en reste ! L’ouvrage d’Alain Ruscio décrit par le menu cette première guerre d’Algérie qui commença le 14 juin 1830, lorsque le premier soldat français débarqua au port de Saint Ferruch et se termina en 1852 après la reddition de l’Émir Abdel Kader. Juste après ce moment, et alors que les Français avaient déjà bombardé Alger depuis la mer en 1663, à partir de 1832, l’Émir essaya de construire, non sans résistance, une nation à partir de la Kabylie, dans un pays qui était encore sous la tutelle d’un empire ottoman vieillissant et qui comptait de trois à quatre millions d’habitants. La colonisation française s’établit progressivement.

Notons d’entrée qu’en regard des documents statistiques que propose cet ouvrage par ailleurs essentiel, celui-ci manque cruellement de cartes. Elles auraient simplifié la lecture, qu’il s’agisse des implantations ou des combats.

L’attitude des soldats français, face aux populations qui ne manquèrent pas de résister fut terrible. En 1852, Victor Hugo notait dans ces carnets que l’Algérie avait rendue l’armée féroce. Villages brûlés, décapitations, viols, sauvageries en tout genre, si cette histoire d’une « guerre longue et dévastatrice » avait été enseignée dans les écoles, cela aurait peut-être fait réfléchir celles et surtout ceux qui choisirent de quitter la métropole pour tenter l’aventure coloniale.

Alain Ruscio commence son livre par la permanence de la politique d’expansion territoriale française depuis Richelieu qui conduisit Louis Philippe à franchir le pas en Algérie. L’historien poursuit avec la politique agressive qui prétexta le fameux coup d’éventail du Dey d’Alger Hussein au Consul de France en Avril 1827, mais connut un coup d’arrêt avec la réaction britannique. Vient ensuite la description des premiers moments du conflit armé, « le plus grand engagement militaire français depuis les guerres napoléoniennes », puis la curée qui marqua la prise d’Alger, avant une sorte de stagnation des hostilités jusqu’en 1833 où il fallut calmer diplomatiquement à la fois les britanniques et les Ottomans. Dans les années qui suivirent, la résistance d’une société algérienne naissante commença à se construire avec un Abdel Kader qui peinait toujours à établir son autorité. Dans un chapitre très intéressant, l’auteur décrit ensuite la naissance et les activités du parti « coloniste » en France, puis l’impuissance de la mouvance anticoloniste et la naissance du mot anticolonialiste. Nul ne l’ignore, dans ce registre, le colonialisme fut autant marqué à gauche (de Jules Ferry à François Mitterrand) qu’à droite, où l’on fut d’abord contre ce qui était considéré comme une aventure dispendieuse.

Vinrent ensuite des années de tâtonnements, de déconvenues militaires et la volonté du général Bugeaud de pacifier l’Algérie à partir de 1847. C’est à ce moment, jusqu’en 1851 que la sauvagerie de l’armée atteignit un sommet.

Par la suite, les colons cherchèrent à accaparer les terres et les forêts, avec force expropriations. C’est alors que des Européens non français furent appelés en renfort. En 1848, les Français envoyèrent un nouveau contingent civil, avec pour partie des proscrits de 1848. On comptait en 1847 110 342 colons, dont 50 220 Français, 33 222 Espagnols, 8 908 Maltais (les plus méprisés du lot), 6 040 Allemands, 3 227 Suisses et 300 autres européens. On évalue la population de confession juive de 15 à 17 000 personnes. Fin 1853, les 264 000 colons se répartissaient en trois provinces (120 506 dans l’Algérois, 73 799 dans le Constantinois et 70 126 dans l’Oranais).

Une autre action fut menée avec l’appui de l’Église, en forme de croisade contre l’Islam. Les deux derniers chapitres traitent de la sociabilité des colons et des premiers Algériens en France. Rien n’est dit, à moins que cela nous ait échappé, des Juifs, des francs-maçons, présents en Algérie depuis 1832, et même des catholiques.

En conclusion et avant des éléments statistiques qui nous indiquent entre autres données qu’il y eut très probablement plus de 100 000 militaires français tués dans cette première guerre d’Algérie, l’auteur termine son ouvrage avec un constat. À la fin de cette guerre, « la société algérienne avait été frappée de plein fouet, mais les Arabes tenaient debout ». Ils se battirent de temps à autres, aux prix de répressions féroces, avant que ne commence une seconde guerre d’Algérie qui, celle-ci, fut perdue par la France au prix d’un demi million de morts, dont 400 000 Algériens. Alain Ruscio, historien du fait colonial a écrit deux autres livres  sur le sujet: Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS. (2015) et Les Communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance (2019), parus tous deux à la Découverte.

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