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CRITICA ▲

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Le livre noir de la franc-maçonnerie », par André Kervella

Jean-Pierre Bacot

Enfin un livre précis et documenté sur ce dont on a grand tort de ne parler qu’à mi-voix : il y a eu dès le XVIIIème siècle et dans les début du XIXème des francs-maçons impliqués dans la traite négrière. André Kervella insiste dans cet ouvrage publié aux éditions de la Tarente sur la contradiction qu’a impliquée une telle pratique, face à un idéal proclamé de fraternité et de concorde universelle, une tension que les intéressés ne semblent pas avoir sentie, sauf à considérer l’universel comme blanc et masculin.

On sait que le fondateur du REAA, le Comte de Grasse Tilly et ses frères les plus proches avaient été chassés de Saint-Domingue par la révolution haïtienne pour se réfugier aux États-Unis. L’auteur consacre deux chapitres au parcours de ce personnage sulfureux. Mais il y eut bien d’autres maçons, surtout dans les loges des côtes de l’océan Atlantique ou de la Manche, qui furent des agents actifs du colonialisme et de la traite négrière. Qu’il s’agisse du Grand Orient, de la Grande Loge, mais aussi, à la fin du XVIIIème, des loges francophones de la Grande loge de Pennsylvanie. André Kervella publie la liste de tous les ateliers concernés.

L’auteur retrace dans un livre très dense le détail de la situation chaotique de Saint-Domingue, entre révoltes blanches et noires et, dans ce contexte, la carrière des maçons terriens ou marins, civils ou militaires, dont certains obtinrent de l’Empereur le rétablissement de l’esclavage, au nom de la poursuite des affaires économiques qui menaçaient de s’écrouler.

Que peut-on dire aujourd’hui de ces crimes ? Le dernier paragraphe du livre résume l’attitude quelque peu irénique de l’auteur : « Quoi qu’il en soit, on se gardera de verser dans l’indignation rétrospective. S’il fallait se comporter aujourd’hui en censeurs de personnalités défuntes, grandes et petites, célèbres ou non, parce que elles ont commis des discours et des actes devenus répréhensibles dans le système éthique ou son excroissance juridique, il n’y aurait plus grand monde à illustrer les dictionnaires biographiques. Expliquer leur conduite n’est pas l’excuser mais se prémunir contre la répétition de leurs erreurs». Une telle prudence se discute, c’est le moins que l’on puisse dire, dans la mesure où il y eut des maçons qui ne trempèrent pas dans ces attitudes. Le Zeitgeist a bon dos. Question à l’étude des loges?

À ce propos, notons que l’auteur cite à tort Montesquieu comme défenseur de l’esclavage (cf. son texte célébrissime de 1748 à l’ironie mordante que l’auteur, docteur d’État ès lettres, n’a malheureusement pas saisie, De l’esclavage des nègres).

Quant à récurer les écuries d’Augias, il faudrait aussi un jour regarder de près ce qui s’est produit au cours des deux guerres d’Algérie (1830-1847 et 1954-1952), dans ce que l’on appelle la Françafrique et, aujourd’hui, le postcolonialisme. Il ne s’agit pas de Cancel Culture, mais d’une justice à rendre envers celles et ceux qui n’ont point failli et qui ont parfois payé de leur vie leur refus d’aboyer avec les loups et les chiens policiers. Le frère Montesquieu par exemple, qui certes mourut de sa belle mort, même si sa tombe à saint Sulpice fut profanée.

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J
Je prends juste rapidement un exemple, certes lointain, mais que je connais bien<br /> L a Commune de Marseille en 1871<br /> La maçonnerie était contre, à Marseille comme ailleurs, mais une loge, la réforme était aux avant poste. Son Vénérable, Gaston Crémieux a été fusillé par l'équivalent des Versaillais.<br /> Aujourd'hui, les obédiences n'ont plus aucune dimension critique, mais il existe des SS et des FF et même des loges qui ne se résolvent pas à regarder passer le train noir de l'histoire
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K
Je remercie Jean-Pierre Bacot pour son commentaire. Pour éclairer davantage ma lanterne, serait-il possible de savoir quels sont les francs-maçons qui "ne trempèrent pas dans les attitudes" de leurs contemporains et eurent une audience dans leur loge ? Le savoir me permettrait d'amender mon texte lors d'une réédition. Merci d'avance.
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P
Comment acquérir ce livre qui recoupe 1 des questions à l'étude?<br /> FRAT.<br /> Prix et adresse pour le chèque?<br /> JPP
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G
Bonjour, le livre est en vente sur notre site internet. Cordialement.