Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Les fêtes sont certes passées, mais il reste des anniversaires et d’autres événements à célébrer. Dès lors, si vous connaissez des amateurs ou amatrices de science-fiction, offrez leur cet ouvrage qui vient de paraître chez Encrage, un magnifique dictionnaire aux innombrables entrées, dirigé par Jean-Pierre Andrevon. À 87 printemps révolus, ce grand spécialiste continue à œuvrer pour ce genre littéraire proliférant. Il s’en tient à l’épure et ne traite donc ni du fantastique, ni de l’Heroic Fantasy, domaines qui sont désormais installés comme des domaines littéraires à part.
Dans l’entrée « Fantastique », Andrevon propose, « pour solde de tout compte » une définition qui commence ainsi : « Le fantastique développe un imaginaire non-rationnel (qui ne pourrait pas exister), alors que la science-fiction, s’appuyant en principe sur la science, explore un imaginaire qui pourrait se monter réel ». Qu’on se le dise.
Comme prédécesseurs de ce précieux pavé, il y eut l’ouvrage de Pierre Versins (1923-2001) Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, paru en 1972 à l’Age d’homme, puis celui de Jacques Sadoul (1934-2013), Une histoire de la science-fiction moderne, en deux tomes, 1973 et édition augmentée, 1984, chez Robert Laffont. Mais Jean-Pierre Andrevon, qui consacre deux belles notices à ces deux antécédents, va plus loin, aidé de Jean-Pierre Fontana et Claude Ecken. Il explore le champ qu’il connaît intimement, plus profondément. Avec plus de 600 pages et un bon millier d’entrées fourmillant d’informations, son travail est impressionnant. Tout ce qui est paru en France depuis plus d’un siècle, y compris en traduction, est indiqué… sauf une longue liste des absents, qui plus est incomplète, publiée en fin d’ouvrage. La Science-fiction est un continent qui s’élargit régulièrement. Raison de plus pour rendre hommage à des centaines d’auteurs, pour nombreux d’entre eux en voie d’inexorable mise en oubli.
Étrangement, on ne trouve pas d’entrée consacrée à Jean-Jacques Bridenne et à sa thèse de 1952, « L’invention de la science-fiction en France : Les héritiers de Cyrano » pourtant reprise en 2023 par les éditions Encrage, une édition académique dirigée par Jean-Luc Buard et préfacée par Gérard Klein.
L’ouvrage porte le numéro 58 de l’impressionnante collection « Travaux » de ces mêmes éditions, qui commença en 1989 avec le Tome 1 de Polar, mode d’emploi, manuel d’écriture criminelle, Mystery Writers of America.
L’auteur, a commis environ 200 opus, dont 90 livres et de nombreuses critiques. Il possède une connaissance impressionnante de ses confrères et rares consœurs. Pour sa part, il a commencé à publier en 1969, avec Les Hommes-machines contre Gandahar, début d’une série qui a paru récemment en intégrale, avec une dernier touche à l’édifice, la Reine de Gandahar (2024) et il a lancé en 2014 une revue du même nom.
Outre le travail sur les écrivains (et parfois écrivaines, les femmes œuvrant davantage dans le domaine de la fantasy) qui ont marqué le genre, cet ouvrage relève d’une belle qualité d’écriture, avec un humour omniprésent. Il comprend, entre autres pépites, une entrée très intéressante sur les revues qui ont contribué à installer en France la science-fiction dans ses lettres de noblesse. Fiction, magazine qui apparut en 1953, ou les collections de poche lancées par plusieurs éditeurs touchèrent à la fois une partie de la jeunesse et du monde adulte. « Le rayon fantastique » fut édité par Gallimard et Hachette, de 1951 à 1964. Le Fleuve Noir fit paraître de 1951 à 2001 une série « Anticipation ». Quant aux éditions Denoël, elles publièrent « Présence du futur », de 1954 à 2000. Certains de ces livres sont aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs. On en trouvera le détail sur le site « Noosphère ».
Mais l’auteur remonte aux prolégomènes, vers 1920, quand le genre n’avait pas encore été nommé. Jules Verne (1828-1905) fut un incontestable précurseur avant le rebond qu’assura le bruxellois J.H. Rosny Ainé (Joseph Henri Honoré Boex, 1856-1940), lequel ne fit pas qu’inventer le roman préhistorique (La guerre du feu, 1909).
Si ses ancêtres sont assez nombreux, et désormais identifiés, la science-fiction a donc touché le public francophone il y a quelque soixante-dix ans, les décennies précédentes n’ayant concerné que les premiers afficionados. Plus tard, dans les années 1970 les SF studies arrivèrent dans les universités américaines, puis françaises, pour faire l’objet d’études savantes et d’essais qui sont analysés et détaillés dans ce gros livre.
En fait, c’est l’ensemble de la culture dite populaire qui a trouvé tardivement ses galons académiques. Les publications comme celle-ci contribuent à fournir de précieux outils aux chercheurs, amateurs ou professionnels.
On trouvera en ligne le détail des titres de cette collection « Travaux » et d’autres encore, et même un remarquable site associé gratuit, « Fiction bis », qui recense pas moins de 50 000 titres touchant la science fiction, le policier, le fantastique, le western, la fantasy, bref relevant d’une recherche d’exhaustivité couplée à l’analyse. Cette exigence caractérise également la revue désormais semestrielle Le Rocambole, publication que nous chroniquons régulièrement sur ce blog, qui existe depuis 1997, mais qui connut une préfiguration à partir de 1988, sous le titre Tapis Franc. Cette revue a sorti de l’oubli bien des écrivains dont certains ont tâté de la science-fiction et se retrouvent dans cet ouvrage majeur (cf. notamment le numéro 93-94 de l’hiver 2020, « Maurice Renard, conteur »). Les rubriques de ce beau dictionnaire de Jean-Pierre Andrevon sont à déguster par petites touches pour se remémorer, ou apprendre à ne pas oublier.
Tout ce dispositif éditorial est installé dans la Somme, à Amiens, dite petite Venise du Nord, ville où habita Jules Verne. Elle est le siège de l’Université de Picardie qui porte son nom et est devenue la Mecque francophone de cette culture populaire dont sociologues et anthropologues ont montré qu’elle était le terrain de construction des idées sociales et des représentations collectives.