Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
24 Mars 2025
Jean-Pierre Bacot
Il est fort heureusement des revues qui se portent bien. Ainsi, nos amis de Rocambole éditent-ils désormais, parallèlement à leur numéro double semestriel (nous attendons impatiemment le n°109-110 qui commencera l’année 2025), et en alternance, des ouvrages hors-série dont la première fournée est consacrée aux « polars d’antan ».
Jean-Luc Buard a encore frappé fort en nous présentant dans ce premier tome un livre au parcours étonnant. En effet, Le drame de la rue de la Paix, publié en 1866 par Adolphe Belot, présenté comme un des principaux ancêtres du polar, exista certes sous forme de livre dès l’année suivante, paraissant chez Michel Lévy, mais ce n’est pas ce qui construisit son immense succès. Le roman sortit d’abord, comme cela se pratiquait beaucoup l’époque, en feuilleton dans le quotidien L’Événement, puis l’auteur en fit une pièce de théâtre qui fut jouée en 1868 à Paris, à l’Odéon. Comme il sied dans pareille revue, on nous offre le texte intégral du roman, la pièce de théâtre et un article de Buard sur les conditions d’édition du moment, sans oublier une chronologie des publications et des traductions du roman, ni les critiques parues dans la presse de l’époque.
Complètement oublié aujourd’hui, Adolphe Belot (1829-1890) fut d’abord avocat, avant de devenir un écrivain et un dramaturge prolixe. Le voici aujourd’hui réinscrit au panthéon de la littérature populaire. Un certain Émile Zola, dans ses Causeries, écrivit à propos de la pièce tirée du roman sus-cité, un long texte qui se termine ainsi : « Je ne sais pas si le drame de M. Belot tiendra longtemps l’affiche. Le succès semble s’affirmer chaque soir. Mais quoi qu’il arrive, l’œuvre restera comme une des productions caractéristiques du moment littéraire ». Les œuvres d’Adolphe Belot furent proposées en 87 volumes à 20 centimes (18 titres), à partir de 1900.
On ne parlait pas encore en ces temps anciens de roman policier, mais de « roman d’assises ». Il s’agit pour Le Drame de la rue de la Paix, d’un crime commis en 1848 et mal élucidé, pour lequel une enquête parallèle permettra de trouver le vrai coupable, en bref Belot creuse le filon de la fausse piste. Les conditions d’édition de ce roman ont fait qu’il a pratiquement disparu du travail des historiens de la littérature populaire, sauf quelques notations ici ou là. Le travail de Rocambole n’en est que plus précieux.
Le public du polar est devenu massif depuis plusieurs décennies et il serait étonnant qu’il ne se trouve pas une petite partie des passionnés qui soit à la quête permanente de ses origines. C’est aussi le cas de la science-fiction, du roman d’aventure, du roman historique (tout cela constituant le roman populaire au sens large). Tout ces genres feront au fil du temps l’objet d’un ouvrage critique dans cette nouvelle collection qui a pour intérêt, outre la mise à disposition de textes rares, de montrer les conditions de constitution d’un genre et d’un champ littéraire. Il s’agit là d’un véritable programme de recherche qui concerne et ravit à la fois les indécrottables érudits et les indéracinables universitaires.
Adolphe Belot a publié son roman dans L’Événement peu après qu’Émile Gaboriau (1832-1873) ait sorti chez son principal adversaire, Le Soleil, son feuilleton L’affaire Lerouge. Mais Gaboriau était soutenu par Moïse Polydore Millaud, qui avait lancé Le Petit Journal en 1863 et maintenait mordicus la forme séquencée. La concurrence acharnée entre les titres fut l’un des moteurs de la construction des genres, avec ses allers-retours. de formes et de supports. La critique de l’époque, passablement déroutée, fut parfois sévère pour Belot, mais le public aima cette œuvre imparfaite, peut-être trop vite écrite, cependant novatrice, ce que seul le recul historique peut aujourd'hui mettre en valeur.
En conclusion, l’annonce faite avec ce premier numéro des hors-série du Rocambole, disponible à l’unité ou par abonnement, est totalement réjouissante. Le polar n'aura jamais été vivant.