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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Pulsion », de Frédéric Lordon et Sandra Lucbert - Spinoza pour réhabiliter la psychanalyse

Yolande Bacot

« Pulsion », ouvrage de quelque 600 pages, paru aux éditions de La Découverte, co-écrit par Frédéric Lordon et Sandra Lucbert, est une entreprise intellectuelle qui laisse admiratif tant elle est ambitieuse. Et elle tient les promesses de cette ambition.

De quoi s’agit-il ? De revisiter et de refondre tous les concepts psychanalytiques hérités de Freud et Lacan, principalement, sans oublier pour autant Deleuze et Guattari, et ceci à l’aune de la pensée de Spinoza dont on sait que Frédéric Lordon est un grand spécialiste. Les concepts spinozistes de « conatus », « imperium », « ingenium » notamment structurent la démarche des auteur.e.s qui nous proposent de suivre, pas à pas, la venue à l’existence de « Modus ».

Sorti « fini-pas fini » du ventre maternel, Modus est marqué à jamais par la trace de cette chute, « condition perdue, déchéance ontologique qu’il va chercher sa vie durant à retrouver, sans jamais y parvenir ». Pathétique effort désirant, puisqu’en réalité il ne sait pas ce qu’il désire, et qu’en conséquence, il ne risque pas de le trouver, précisent les auteur.e.s à propos de ce desiderium. Tout au long de son existence, Modus sera gouverné par l’impulsion première du Désir - la pulsion qui donne son titre à l’ouvrage -, désir de revenir sur le desiderium princeps, d’effacer la perte originaire en la comblant, c’est-à-dire en poursuivant, par l’énergie de son conatus - effort déployé pour persévérer dans l’existence -toutes sortes d’objets en tenant lieu.

Les stades freudiens de la construction de soi deviennent des temps : T1, T2, T3, T4, T5, l’occasion pour les auteur.es, à chaque étape, de soumettre à l’argumentation un certain nombre de théories convenues, celle du manque, par exemple, qui serait le moteur du désir, le choix du phallus comme métonymie de la Loi du père chez Lacan, l’importance excessive accordée au langage, l’inconscient, le refoulement, etc.

Rien dans les développements de cet ouvrage n’échappe à la sagacité des auteur.e.s dont les critiques très argumentées ont le mérite de toujours substituer un concept ou de la pensée à ce qui est mis à l’épreuve de leur analyse.

La visée de l’ouvrage est, principalement, de mettre en question l’ordre symbolique sur lequel la psychanalyse s’est appuyée jusqu’alors pour souligner ses connivences avec le modèle patriarcal conduisant à faire un « universel » de ce qui n’est qu’une construction sociale.

La lecture de « Pulsion » n’est pas facile, même s’il faut reconnaître un effort louable d’explication et d’accessibilité dont le glossaire de fin d’ouvrage témoigne. Des passages sont parfois « drôles », on les suppose de la plume acérée de Frédéric Lordon, d’autres plus jargonneux, mais, malgré tout, la qualité du raisonnement qui ne laisse rien au hasard fait que le lecteur peut absorber, sans lassitude, ce volumineux opus.

Si nous ne nous permettrons pas de questionner la pertinence des concepts spinozistes au fondement de cette nouvelle théorie psychanalytique, nous noterons toutefois, sans que cela n’enlève rien à la démonstration générale, que l’opposition faite par les auteur.e.s entre l’humain naissant « fini-pas fini » et l’animal totalement fini dès son arrivée, autrement dit doté de tous les instincts permettant sa survie sans le besoin de ses Autres, relève d’une vision cartésienne de la gente animale abandonnée depuis fort longtemps par l’éthologie. Celle-ci lui reconnaît, au moins pour les mammifères supérieurs, une aptitude à la transformation en fonction du milieu, une culture résultant d’apprentissages dispensés par ses géniteurs ou ses semblables. Les animaux naissent donc eux aussi finis-pas finis !

L'ouvrage, publié à la Découverte, est vendu 28 euros.

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