Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
16 Avril 2025
Julien Vercel
Le 12 octobre 2023 dans Elle, Anouck Grinberg racontait ce qu’elle connait de Gérard Depardieu : « Quand il dit qu’il n’a jamais agressé une femme, moi je l’ai vu faire pendant tout ce temps. Je l’ai vu mettre des mains aux fesses des femmes, leur toucher les seins, le sexe, tout en blaguant. Je l’ai entendu parler toute la journée de leur moule, de comment il aimerait les sucer, toute la journée et personne n’a rien dit ». Pourtant, deux mois plus tard, le 20 décembre 2023, alors même que l’acteur est visé par une plainte pour viol, Emmanuel Macron explique qu’« il rend fier la France ». Une affaire très française, l’enquête inédite (Albin Michel, 2024) de Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld navigue ainsi entre ces deux pôles, réalise un - très documenté - exercice d’équilibriste et livre quand même la stratégie d’un prédateur.
L’exercice d’équilibriste balance entre, d’une part, une biographie et, d’autre part, la mise à nu d’un système et des silences d’un milieu. Ainsi, alors que l’ouvrage suit le parcours de Gérard Depardieu selon un ordre quasi chronologique, il est indiqué à plusieurs reprises comment le milieu du cinéma français se tait sur les agissements du « grand » acteur et peut même les encourager. Par exemple, pendant le tournage de Loulou (1980), le réalisateur Maurice Pialat et Gérard Depardieu multiplient les « blagues de corps de garde ». Plus tard, sur le tournage de Police (1985), Bertrand Arthuys, assistant du réalisateur, rapporte qu’« on peut dire que les deux mecs, Pialat et Depardieu, l’ont joué très macho ». Et le milieu ? Comment réagit-il ? « L’acteur a des gestes déplacés, sur lesquels tout le monde ferme les yeux, conscient de son statut de star ». Les années 1980, qualifiées de « décennie fantastique » pour l’acteur, se déroulent sur le même mode : « C’est vrai, il adore pincer les hanches de la maquilleuse, mettre la main aux fesses du caméraman, mais personne ne trouve rien à redire à la paillardise, qui fait rire les équipes. À cette époque, aucune femme n’ose s’en plaindre. Est-ce seulement une question d’époque ou le signe de sa puissance croissante au sein du cinéma ? ».
Côté biographie, les auteurs évoquent le caractère double de Gérard Depardieu qui cumule « deux hommes en un seul, le merveilleux acteur et l’insupportable harceleur, le poète d’exception et un individu obscène ». Lors du tournage de Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau, 1990) : « Il se promène avec sa cape et son chapeau, distribuant des mains aux fesses en disant des vers. Rien ne lui plaît plus que d’arborer partout ce double visage : le paillard obscène dans les gestes et le poète raffiné dans les mots. Personne ne proteste, tout le monde le regarde. Comme si le monstre sacré excusait le type pénible avec les femmes ».
L’enquête met enfin à jour la stratégie du prédateur qui ne s’attaque qu’à des proies en position d’infériorité ou de faiblesse et qui ne s’en est jamais caché. Sur le tournage de Police, il joue à humilier Sophie Marceau et, « à l’époque, personne ne songe à protéger cette jeune fille à peine majeure ». « Avec les innombrables petites mains du milieu, les maquilleuses, les figurantes et les intermittentes du spectacle, en somme avec celles qui ne peuvent se mesurer à l’énorme pouvoir qu’il exerce sur le septième art, il peut être infernal ». En 2018, lors du tournage d’un documentaire en Corée du Nord avec Yann Moix, il multiplie les propos obscènes à l’égard de la jeune interprète qui ne peut pas répondre, il pousse des cris de cochon devant chaque femme, multiplie les remarques sexuelles… Dès 1978, il avait accordé un entretien à Richard Corliss dans Film Comment où il raconte des viols pendant son adolescence à Châteauroux : « Il n’y a pas de mal à ça, les filles voulaient être violées. Je veux dire que ce n’est pas vraiment un viol. C’est seulement que les filles se mettent dans ce genre de situation ». Ces propos réapparaissent en 1991 et Cyrano de Bergerac manque l’Oscar du meilleur film étranger ! Finalement, comme l’écrivent Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld : « Depardieu était inaccessible, il est devenu infréquentable ».