Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
16 Mai 2025
Julien Vercel
En deux fascicules téléchargeables (Fondapol, avril 2025), Jérôme Perrier retrace la généalogie de l’anarcho-capitalisme évoluant vers le populisme de droite qualifié de « paléo-libertarien » et incarné notamment par le président argentin Javier Milei. Outre son intérêt pour appréhender les différentes sources du libertarisme, ce travail éclaire la façon dont les « libertaires » américains se sont rapprochés de la droite la plus conservatrice et populiste à partir des années 1970.
En effet, le rapprochement s’était fait d’abord avec la gauche contestataire dans les années 1960 sur la base du refus de la guerre au Vietnam et de la conscription, du combat pour la dépénalisation de l’avortement et en faveur de l’usage de certaines drogues. Mais la fin de la guerre du Vietnam d’une part et la stratégie prônée par l’économiste Murray Rothbard d’autre part vont faire opérer aux libertariens un virage conservateur – le « paléo-libertarisme » – fondé sur le rejet viscéral de l’État, la confiance indéfectible dans les mécanismes de marché et la souveraineté absolue de l’individu élevée en droit inaliénable.
Murray Rothbard (1926-1995) qui participe à la création du Parti libertarien en 1971, ne conçoit pas de limiter la promotion du libertarisme aux cercles intellectuels. Il élabore donc une stratégie pour rallier les masses, stratégie qui consiste à établir une alliance avec la droite conservatrice et isolationniste. Son fondement est le remplacement de la lutte des classes par l’opposition entre les dominés – le peuple écrasé d’impôts et de mépris – et les dominants – les hommes de l’État, les élites de la côte Est avec leur fiscalité confiscatoire, leur interventionnisme militaire et leurs programmes sociaux. Rothbard cherche ainsi à dresser le peuple – constitué de tous les « exploités » de l’État – contre ses élites.
Ces « paléo-libertariens » veulent faire une « révolution populiste par la base » contre « les élites dirigeantes égalitaristes, collectivistes et internationalistes ». Et pour que les libertariens se rallient à la position des conservateurs chrétiens contre l’avortement, ils n’hésitent pas à oublier leur attachement à la « souveraineté absolue de l’individu » et reprennent leur argumentation contre le « despotisme » de l’État fédéral en optant pour une décentralisation de la législation sur l’avortement État par État !
En janvier 1992, Murray Rothbard publie le manifeste programmatique « Populisme de droite : une stratégie pour le mouvement paléo » (Rothbard-Rockwell Report). Ce programme consiste en une diminution radicale des impôts par des coupes tout aussi radicales dans l’État-providence qui ne ferait que nourrir une « classe parasitaire » ; la suppression des « privilèges raciaux et autres privilèges de groupe » (les « quotas » et les mesures en faveur de la parité) ; la liberté d’agir pour la police afin de reconquérir les rues ; l’élimination des clochards ; la suppression de la banque centrale qualifiée de cartel de « banksters » ; la fin de l’aide au développement au nom de « America First » et, enfin, la défense des valeurs de la famille avec la suppression des écoles publiques et la fin de la législation fédérale sur l’avortement.
Javier Milei s’est convertit aux idées libertariennes en 2013 suite à la lecture d’un article de Murray Rothbard. Lors de son discours au forum de Davos, le 25 janvier 2025, le président argentin explique que « du concept de liberté comme protection fondamentale de l’individu contre l’intervention du tyran, nous sommes passés au concept de libération par l’intervention de l’État ». Or, selon lui, comme « la défaillance du marché n’existe pas. Parce que le marché est un mécanisme de coopération sociale où les droits de propriété sont échangés volontairement », « les fonctions de l’État devraient à nouveau être limitées à la défense du droit à la vie, à la liberté et à la propriété ». Avec Javier Milei, mais aussi Donald Trump, à défaut d’être « spirituel », le XXIe siècle s’annoncerait « paléo-libertarien » ?