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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

"Marine Le Pen présidente" : une dystopie très (trop) proche de notre réalité

Alban Corso

Il y a longtemps que je ne lis plus d'ouvrages de politique-fiction. Comme beaucoup, je suis submergé par l'actualité quotidienne, suffisamment riche en rebondissements pour ne pas avoir besoin d'y ajouter les inquiétudes nées dans l'imagination d'écrivains et de politologues.

Pourtant, face à la montée des mouvements réactionnaires à l'échelle mondiale, j'ai ressenti le besoin d'explorer une hypothèse qui, bien qu'inquiétante, me semble désormais plausible. Après avoir lu la série de bandes dessinées "La Présidente" (François Durpaire et Farid Boudjellal, 2015-2017), j'ai voulu me plonger dans "Marine Le Pen présidente, dystopie politique 2026-2029" des Éditions Les Petits Matins.

Ce qui frappe d'emblée, c'est le sérieux de l'entreprise. Les trois auteurs – Guillaume Hannezo, Hakim El Karoui et Thierry Pech – ont bâti leur récit sur des fondements solides : des faits avérés jusqu'en octobre 2024, des politiques publiques inspirées directement des programmes officiels et des travaux de think-tanks influents à l'extrême droite. Comme le précise "l'avertissement" qui ouvre le livre, à propos des protagonistes : "L'avenir n'est pas écrit : ils auront le choix."

Le gouvernement fictif est décrit avec une précision méticuleuse : Laurent Wauquiez comme Premier ministre, Jordan Bardella à l'Intérieur, Éric Ciotti à la Justice, Marion Maréchal au ministère rebaptisé "de l'Instruction et de la Régénération morale", et Éric Zemmour à la Culture et la Communication. Le monde économique est représenté par Henri Proglio, "puis un milliardaire du Net", au ministère de l'Économie. Cette "union des droites" tant fantasmée par Éric Zemmour prend ici corps, avec toutes ses contradictions.

L'aspect le plus saisissant de cette dystopie réside dans ses troublantes résonances avec l'actualité politique récente. Dans le roman, le gouvernement Le Pen crée des "nouveaux bagnes" au printemps 2027, notamment en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon, destinés à accueillir des "indésirables". Comment ne pas faire le rapprochement avec la récente proposition de Laurent Wauquiez dans le JDD, suggérant d'envoyer les délinquants sous OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

La frontière entre imaginaire dystopique et propositions politiques concrètes s'avère dangereusement poreuse. Par moments, la fiction paraît même moins extrême que certaines déclarations politiques actuelles – un constat aussi fascinant qu'inquiétant.

Les auteurs excellent particulièrement dans leur description de l'opportunisme politique du RN une fois aux commandes. Le récit met en scène un parti prompt à renoncer à ses promesses phares lorsque confronté aux réalités du pouvoir, notamment concernant les retraites et les engagements envers les fonctionnaires.

Ces revirements fictifs font écho, de façon presque prophétique, aux ajustements de position observés lors des législatives anticipées de l'été 2024, quand le RN a considérablement adouci ses positions les plus controversées pour se présenter sous un jour plus modéré.

L'approche gouvernementale dépeinte dans le roman allie idéologie et pragmatisme cynique : face à la nécessité de réaliser des économies, le pouvoir cible systématiquement des "ennemis" – les "cultureux", les "cassos", les "immigrés", les "étrangers", les "bobos des centres-villes et des banlieues". Autant de "boîtes" confiées à des ministres chargés de sabrer dans les financements de ces catégories.

Mais cette approche idéologique se heurte rapidement à la réalité, tant sur les questions climatiques qu'européennes. Le gouvernement fictif se trouve confronté à l'accélération du dérèglement climatique et aux difficultés géopolitiques et financières découlant des choix monétaires de l'extrême droite au pouvoir.

Certes, les auteurs orientent les péripéties selon leur propre sensibilité, peut-être perçue comme libérale, où toute approche souverainiste apparaît nécessairement périlleuse. Néanmoins, les contradictions qu'ils soulignent sont bien réelles. De nombreux chercheurs ont démontré que le programme du RN n'est pas conçu pour être appliqué, mais pour conquérir le pouvoir dans une logique populiste.

Pour autant, il serait imprudent de sous-estimer la colère populaire qui pourrait porter un tel gouvernement au pouvoir. L'exemple actuel de l'administration Trump II nous rappelle qu'un programme jugé inapplicable par beaucoup peut néanmoins être mis en œuvre, quitte à conduire le pays au bord du précipice.

En définitive, "Marine Le Pen présidente" n'est pas qu'un simple exercice de politique-fiction – c'est un avertissement sur les dangers qui guettent nos démocraties lorsque le populisme et l'extrémisme accèdent aux plus hautes fonctions de l'État.

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