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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Bernard Dubourg zâhir (manifeste) : question de méthode, conséquences et évidences - 3e partie

Sculpture sur bois de l’Abraxas gnostique,
par un artiste ukrainien anonyme.
Photo de l’auteur (coll. particulière).

Adon Qatan

Cet article, qui aurait dû être publié dans un numéro papier de la revue avant sa fin est découpé ici en trois parties qui seront publiées sur ce blog les 4, 6 et 8 juin 2025.

 

Exemples de méthode sur l’origine des écoles gnostiques

Quant aux diverses écoles-communautés gnostiques, comme nous le rappelions plus haut, elles ne sont donc ni plus ni moins pour Dubourg que d’autres types de Messianismes, proto-Christianismes ou « Christianismes primitifs », nés pour la plupart comme le culte prophétique d’un certain Yeshouah/Yoshouah/Yehoshouah (alias Josué le successeur de Moïse, cycliquement réincarné, devenu tardivement un certain Jésus), à une époque indéterminée avant notre ère, à l’exception du valentinisme visiblement plus tardif (synthétisant des éléments doctrinaux plus archaïques, séthiens et barbélites/barbélognostiques principalement), et de son antagoniste simultané : la réforme marcioniste (se réclamant d’une tradition mêlant le simonisme et le naassénisme, mais gréco-adaptée, au moins exotériquement).

C’est cette équation gnose = messianisme qui fait écrire et répéter à notre auteur, dans ses « Glossaires et références » du tome II de « L’invention... » (op. cit.) :

« caïnites : secte gnostique (ou : soi-disant gnostique)... », p.354, « naassènes : secte gnostique (ou prétendue telle)... », p.359, ou encore « séthiens : secte gnostique (ou : soi-disant gnostique)... », p.362.

Bien entendu, on aura compris que cette affirmation sans cesse rappelée, est fondée sur la découverte des trames et mécanismes midrashiques qui ont autant présidé à la naissance du messie Josué-Jésus, qu’à celles des autres messies NâHâSh-Serpent, Seth, Caïn et autres mystérieux Jean, etc.

Sur ces dernières esquisses fondatrices laissons la parole au trouveur en personne...

 

Ainsi pour le Serpent-NâHâSh et les Naassènes-Ophites :

Ces fameux Naassènes-Ophites que nous nommons, quant à nous, plus volontiers « pératico-naassènes » et que nous identifions aux protognostiques, et par conséquent à un mouvement messianique très ancien – peut-être le tout premier, qui aurait de surcroît donné son nom originel-hébreu au mouvement : DAaTh « connaissance, gnose ».

« Les naassènes sont des ophites et les ophites sont des naassènes.

Cf. les bafouillis d’Irénée de Lyon sur cette école (au IIe siècle après Jésus-Christ, l’Irénée ne comprend déjà plus rien aux préoccupations des naasènes-ophites... – et, en plus, il se permet de les ridiculiser !).

Pourquoi ? Tout simplement parce que NHSh signifie en hébreu ce qu’ophis signifie en grec : à savoir, « le serpent ».

Or le serpent n’est pas, lui non plus, un maigre bouffon dans la Bible hébraïque. »

(« L’invention de Jésus – La fabrication du Nouveau Testament », tome II, p.100).

A partir d’ici, l’auteur-trouveur rappel le rôle du Serpent biblique que tout le monde connaît, en mettant en valeur les termes et expressions hébraïques se rattachant au célèbre épisode de la Genèse, établissant les rapports entre l’Ancien Testament et la rétroversion du Nouveau. Autant d’éléments que nous ne citons pas ici, mais qui se trouvent être des pistes midrashiques nécessitant d’être reprises en détails.

« Les naassènes ou ophites sont donc des lecteurs quasi chrétiens de la Bible. On dirait qu’ils sont prêts à assurer au « serpent » (NHSh) de la Genèse la trajectoire qui est celle que décrit le christ des évangiles.

Ma question, illico : Pourquoi ? – Pourquoi cette secte – cette école – insiste-t-elle aussi quasi évangéliquement sur le reptile biblique hébreu ?

Eh bien, tout simplement – hors délire, et hors Histoire, et hors crampe mythophile – parce que la gématrie du serpent est, en hébreu, la même que celle du messie-christ.

MShYH/« messie » = 40 + 300 + 10 + 8 = 358 (gC) ;

NHSh/« serpent » = 50 + 8 + 300 = 358 (gC).

[gC étant l’abréviation pour « gématrie classique », note du copieur]

A l’origine de l’école juive ou samaritaine des naassènes-ophites il y a, non pas les mythes grecs ou ceux de l’Egypte, mais, sur fond de Bible,

Exclusivement – encore; et toujours !

le constat que le serpent et le messie-christ ne font arithmétiquement qu’un. »

(Ibid., p.101)

Dubourg a donc trouvé la révélation première du Naassénisme (son germe révélateur), révélation qui était néanmoins connue depuis longtemps par tous les kabbalistes, mais à laquelle ces derniers donnaient une toute autre explication (de type dualiste : messie/anti-messie), sans jamais la relier au phénomène gnostique.

Mais voilà, elle est là, à l’état le plus pur d’équivalence (et donc d’équation poétique au sens étymologique), dans si nous osons dire, sa simplicité évangélique.

 

Quant à Simon le magicien 

Assimilé par les hérésiologues et toute la tradition chrétienne à leur suite, comme étant le « père de toutes les hérésies », dont l’autre surnom, centré topographiquement, était « le samaritain », Simon dit aussi « le mage » ou « le magicien » est identifié par Bernard Dubourg à une entité midrashique : ShAWL en hébreu dans le texte.

C’est à la fois le ShEOL, le monde des morts en tant que lieu et personne[1], et ShÂOUL « le demandé, l’interrogé », doublement le roi Saül et Saul-Paul, l’apôtre des nations, clef de voûte de la première diffusion historique du christianisme, suivant la doxa académique.

C’est là tout le propos – autrement plus développé – de la dernière partie (« Dubitations sur Paul ») du deuxième tome de « L’invention de Jésus » (« La fabrication du Nouveau Testament »).

Mais quant à l’équivalence Simon = Saul-Paul, Dubourg la prend telle quelle dans l’apocryphe « Les homélies clémentines », où est traitée, très clairement, l’opposition entre Simon-Pierre et Simon-Paul.

Pour Bernard Dubourg, ni Simon le magicien, ni Paul de Tarse ne sont des réalités historiques, mieux : ils ne forment qu’une seule et unique entité messianique, impliquant que le Simonianisme est, à l’origine, la même chose que la (proto-)doctrine paulinienne, nous laissant nous interroger sur l’état primitif – hors interpolations, traductions-trahisons et autres petits « ajustements » avec la vérité – du corpus des fameuses épîtres attribuées à un Paul historique.

 

Pour Seth et les Séthiens :

Le Séthianisme que nous avons identifié comme étant le premier dérivé, et la première déviance, du pératico-naassénisme, de la protognose messianique.

« Les séthiens ?... Les séthiens ont choisi pour Fils de l’homme Seth (hébreu ShTh ou ShYTh) : et ces séthiens, hébraïstes hébreux fort perspicaces et pas balourds pour deux sous, aussi bons traqueurs de la Bible que les évangélistes, ont reluqué que Seth (l’un des fils, en effet, d’Adam) trône majestueusement dès le premier mot du premier chapitre du premier livre de tous les livres sacrés, la Genèse. Au lieu d’y lire BRAShYTh, le « au commencement » de nos trados passe-partout-&-nulle-part, ils y ont lu BRA ShYTh, c’est-à-dire soit « Seth créa-créera-crée »

Et voilà l’un des fils d’Adam, Seth, présidant à l’œuvre de Création.

soit « (Elohym) créa-créera-crée Seth »

Et voilà Seth devenu premier-né de la Création, appellation qui fera fortune dans le christianisme primitif (appellation incompréhensible et injustifiable en indo-européen...).

soit « Seth créa-créera-crée (Elohym) »

Et voilà les séthiens – des gnostiques ! – satisfaits et Elohym (le dieu inférieur, le démiurge) rabaissé d’autant.

soit – vertigineusement – les trois versions en même temps.

Tout cela élimine, bien sûr, d’une chiquenaude joyeusement venue, toutes les élucubrations des érudits ès gnosticisme prétendant aller quérir chez les goyim, chez les païens (chez les Grecs ! mais allons donc : chez les Egyptiens !), les origines et les idées des sectes séthiennes. Les séthiens sont des Juifs et des Samaritains, hébreux, travaillant hébraïquement sur la Bible hébraïque. – Et puis les séthiens savent, sans recours au grec et aux contes égyptiens, que ShYTh (Seth) veut dire « six » en araméen : or six est le nombre des jours de la Création. Etc. »

(Ibid., p.44-45)

Voilà toute l’explication de la révélation séthienne, où nous voyons incidemment le rapport et la sensible différence entre le Grand Seth (le ShYTh de BRA-ShYTh) et le Petit Seth (ShTh, le patriarche et le fils d’Adam), à un yod près – ce yod (Y) qui est, comme par hasard, l’initiale du nom ineffable de Dieu en hébreu : YHWH.

- Pour Caïn et les Caïnites

Le fameux caïnisme qui transpire dans la notice-chapitre sur les Pérates de l’Elenchos hérésiologique (d’un auteur inconnu) et que nous ne pouvons, pour cela, nous empêcher d’en faire un dérivé direct du pératico-naassénisme primitif – en observant au passage que le supposé « évangile de Judas » caïnite, très lacuneux, retrouvé entre 1970 et 1982 dans la région du Fayoum, mais publié seulement en 2005, a une parenté certaine avec le Séthianisme, primo déviance du pératico-naassénisme.

« Seuls, les séthiens ? – seuls à concurrencer, dans ses propres plates-bandes, le christianisme naissant ? Que non : les caïnites aussi travaillent sur le Fils de l’homme ; et, avec recours aux mêmes impératifs du midrash, ils voient en lui le premier fils (= le premier-né) d’Adam, Caïn précisément. Et là-dessus les caïnites, ils produisent du texte. – Et d’autres qu’eux, en employant les mêmes armes et en obtenant d’autres résultats, le font aussi. »

(Ibid., pp.45-46)

« Les séthiens – dont j’ai parlé plus haut – et les caïnites, en effectuant un travail de midrash sur l’expression BN ADM/« fils de l'homme, fils d'Adam », ont respectivement vu en ce « fils » soit Seth, soit Caïn (personnages bibliques ancestraux). Ils ont produit, sur leurs trouvailles respectives, des textes sectaires exprimant leurs idées. »

(Ibid., p.99)

Ce ne sont là que les premières esquisses qui nécessitent d’être développées, mais les bases sont là.

 

Pour Jean-YOHâNâN et les Mandéens

« L’équivalent gématrique direct de MShYH est, entre autres, YWHNN/« Jean » (tous deux valant 52 dans la Bible ancestrale) – d’où, à travers les évangiles, à la fois le parallélisme et la concurrence (sévère) entre Jésus et Jean. »

(Ibid., p.125)

Il s’agit-là de la guématrie/gématrie dite par rang (à différencier de la guématrie classique) où la correspondance numérique se fait exclusivement par la place de la lettre dans l’alphabet hébreu. Nous avons effectivement MShYH = 13+21+10+8 = 52 et YWHNN = 10+6+8+14+14 = 52.

« Voyez la fortune des littératures tournant autour de « Jean » comme éventuel candidat au titre de « messie-christ » (voyez la littérature mandéenne) – fortune issue d’un midrash prenant uniquement en compte l’équation « messie » = « Jean » (par recours à leur valeur arithmétique commune, 52), et s’arrêtant là. »

(Ibid., pp.126-127)

Où nous voyions à travers les deux guématries les plus anciennes, la « classique » d’un côté et la guématrie « par rang » de l’autre, ce qui est autant une concurrence conflictuelle qu’une possibilité de lien, de rapport, entre le Naassénisme et le Mandéisme.

 

Quant au Valentinisme

Dans le premier tome de « L’invention de Jésus » (« L’hébreu du Nouveau Testament »), nous trouvons une nouvelle définition du Valentinisme. Alors que – comme d’habitude – tout le monde s’accorde, des hérésiologues des premiers siècles jusqu’aux chercheurs contemporains, à faire de Valentin un hérésiarque alexandrin, notre auteur prend le contre-pied de cette affirmation en constatant l’usage de procédés kabbalistiques traduits en grecs, voyant plutôt en lui un docteur hébreu-palestinien (op. cit., p.268).

Les fragments accessibles de la matière valentinienne sont donc à rétrovertir en hébreu.

Ce que fait partiellement Dubourg dans le même ouvrage, dans une longue note sur les « Extraits de Théodote » (pp.158-161). Sans en reprendre les précisions, quelques énigmes de la théologie valentiniennes se trouvent résolues par de simples rétroversions desdits Extraits, énigmes autrement incompréhensibles, ou absurdes (suivant les lecteurs), dans le texte grec des « Extraits… » pris tel quel.

Ainsi, en quelques exemples saillants, Bernard Dubourg trouve :

Que le « monogène, (fils) né unique » est YHYD en hébreu = W-YHWH « et Yahvé/et Dieu », par la même guématrie classique (GC) de 32.

Ainsi, à chaque fois que nous lisons W-YHWH principalement dans la Genèse et généralement dans la Bible, les Gnostiques et les Valentiniens en particulier y voyaient donc le YHYD, le Fils unique/Monogène.

-QWM « lieu, topos » = Y²+H²+W²+H² = 100+25+36+25 = 186.

Signifiant que le « Lieu » est « Dieu élevé (au carré) ».

En fait, MQWM est « l’élévation » étymologiquement et par excellence, par sa racine QWM « se lever, s’élever ». En bonne christologie cette « élévation » est d’abord la crucifixion (élévation sur la croix), puis la « résurrection » comme élévation-relèvement, et enfin comme « ascension » céleste.

 AWTh RWH « les lettres/signes de l’esprit » sont « guérir et prophétiser » RPA W-HZH en hébreu, par le système de la notarique, c’est-à-dire de l’acronymie kabbalistique (ici des initiales), donnant donc en l’occurrence R.W.H. « esprit »[2].

Naassénisme, Simonianisme, Séthianisme, Caïnisme, Mandéisme et Valentinisme…, Bernard Dubourg nous a légué les germes fondateurs de futures recherches sérieuses sur le grand domaine gnostique, autrement plus solides que le tout-venant académique universitaire si convenu, depuis trop longtemps – et autrement plus sérieuses et essentielles, à bien des égards, que les monstruosités néo-spirito-occultistes portant l’étiquette « gnostique » complétement erronée (et remontant aux obscures fantaisies du XIXe siècle finissant), pour de forts mauvaises raisons.

Pistes dubourgiennes donc, que nous avons personnellement commencées à suivre et à développer, comme nos lecteurs l’ont déjà constaté dans la revue Critica Masonica.

 

Conclusion

De la philosophie à la poésie, de l’anglais moderne à l’hébreu biblique, en passant par le latin et le grec, de la méthode à la colère, de 1984 jusqu’à sa mort en 1992, en huit ans de temps du XXe siècle finissant, Bernard Dubourg a entrepris de révolutionner les fondements de la pensée chrétienne et européenne. Remettant ainsi, non pas l’église au milieu du village, mais bien plutôt la synagogue au milieu de l’église, et donc au cœur le plus intime du village, nous offrant, au passage, un remède efficace contre toutes formes d’antisémitisme – dont celui politique, pseudo-scientifique et exterminateur, qui avait culminé au milieu du XXe siècle européen.

Cependant, de nombreuses questions restent en suspens. Déjà, toutes celles touchant le parcours de notre auteur :

De son agrégation de philosophie en 1968 à ses traductions sur les Samaritains en 1984, nous avons seize ans de maturation de ses futurs projets concrétisés entre 1984 et 1992 – dont le dernier en date, celui sur l’apocalypse de Jean que nous présumons resté sous forme de notes, ne parut jamais.

Lors de cette période, il s’installa dans sa fonction de professeur de philosophie, tout en étant à la fois traducteur de poésie anglaise moderne et poète français très contemporain.

A priori, rien ne semblait présager une approche approfondie des études bibliques, hébraïques et chrétiennes, et rien n’évoquait la moindre velléité de révolutionner le paradigme de la culture traditionnelle occidentale, ou de lier ces études avec une révolution de l’esprit – choc intellectuel tel, qu’il ne fut jusqu’à présent jamais réceptionné à sa juste et pleine valeur.

Quelle fut son étincelle première ? Remonte-t-elle avant son agrégation ? Comment progressa-t-il dans sa quête ? Fut-il aidé et par qui ? Ce projet était-il seulement le sien ? Son intérêt fut-il simplement de servir l’unique vérité historique ? Y avait-t-il chez Dubourg une certaine volonté religieuse et non pas seulement athée, comme quelques situationnistes et littérateurs semblent le faire accroire ?

Car, fondamentalement, il ne s’est jamais attaqué à Dieu lui-même en tant qu’entité métaphysique, mais aux institutions défaillantes qui s’en réclament.

En l’état actuel de nos connaissances et n’ayant pas accès aux archives de Bernard Dubourg (si elles existent encore quelque part), nous ne sommes réduits qu’à émettre des hypothèses sur les maigres éléments livresques que nous possédons.

Il reste encore la possibilité de tenter de saisir la gigantesque partie cachée de l’iceberg Dubourg, en recoupant les indices bio-bibliographiques, avec d’autres éléments historiques que nous pouvons trouver pour mieux la reconstituer, avec tout ce que cela comporte d’approximations et d’erreurs.

Cependant, d’autres questions restent posées, en particulier celles des suites que nous pouvons donner à une œuvre qui ne fut qu’un commencement. L’un des leitmotivs de Dubourg est son opposition à ses prédécesseurs mythistes, mais cela implique-t-il nécessairement l’opposition entre midrash et mythe ? Ainsi, notre auteur paraît estimer que le mythisme (le postulat que « l’histoire de Jésus » est un mythe) est une suite du grécisme (l’affirmation que les évangiles sont originellement écrits en grec, et rien qu’en grec). Mais est-ce aussi simple ?

Les mythes in genere, ne sont-ils pas universels ? L’Ancien Testament dans son entier, certes composé de manière midrashique, n’exprime-t-il aucun mythe des anciens Hébreux ? Le midrash, lui-même, n’est-il pas tout à la fois « producteur » et recycleur de mythes sémitiques, hébreux-palestiniens, araméens et cananéens ?

Les Hébreux (ou proto-Hébreux) ne furent-ils pas originellement polythéistes avant d’être les promoteurs du monothéisme – ainsi qu’en témoigne par exemple l’un des principaux noms de Dieu au pluriel, qui apparaît dès le tout début de la Genèse : Elohim…, ainsi que d’autres théonymes hébraïques, tels Shadday ou El, deux anciens dieux araméens et païens ?

Incidemment, les archéologues contemporains authentiquement scientifiques (autrement dit ceux qui sont loin d’être des intégristes fanatiques considérant la Bible comme un authentique livre d’Histoire[3]) reconnaissent honnêtement le hiatus entre le texte biblique (mythique, idéalisé-romancé, propagandiste, prophético-eschatologique…) et leurs propres découvertes sur le terrain de la Terre Sainte. Ainsi, le vieux paganisme semble s’être attardé fort longtemps dans les anciennes campagnes judéennes, samaritaines et galiléennes, contrairement à l’image homogène qu’en donne les textes bibliques.

Quant aux Gnostiques, leur Sophia-Sagesse (Hokhmâh en hébreu), certes complètement en rapport avec la sagesse de YHWH que l’on trouve à divers endroits de l’Ancien Testament, n’a-t-elle pas elle-même une similitude de caractère et d’aventures mythiques avec l’Ashtorêt cananéenne (qui est la même que l’Ashtart phénicienne, remontant toutes les deux à l’Ishtar babylonienne) ?

Et ce ne sont que quelques petits exemples de rapprochements faisables entre les travaux hébraïco-centrés de Dubourg et la mythologie sémitique comparée.

Les implications dans les recherches sur l’Histoire des communautés gnostiques sont faramineuses. Il reste cependant, dans le même sens, le fameux problème de « l’origine des origines » de ces dernières. Si Dubourg découvre que la proto-Gnose est produite par le midrash ésotérique, d’où découlent diverses propositions prophétiques messianiques, leur caractère si particulier, transgressif métaphysiquement, théologiquement, voire moralement, n’évoque pas que le seul résultat du mécanisme de la proto-Kabbale, avec une prise en compte de présupposés mythiques ante-monothéistes (sémitiques païens).

Plus simplement, le Mouvement gnostique n’était pas une simple critique néopaïenne du mosaïsme et de la Thorâh, en milieu hébreu-palestinien, ni même encore plus simplement, une resucée du vieux paganisme cananéo-hébreu. Il comportait en fait une hauteur de vue métaphysique et une dimension mystique anti-sacrificielle que n’avait pas les paganismes habituels

Nous y sentons en fait la collusion de deux éléments, l’un extérieur et l’autre intérieur au peuple Hébreu.

Le premier tenant d’une offre spirituelle provenant d’une lame de fond religieuse un peu plus « extrême-orientale », tels les différents mouvements contestataires indiens issus du mouvement mystique nomade des Shramanes (les « gymnosophistes » des auteurs hellènes) opposés aux très officiels Brahmanes, et de la composition des Upanishads[4] (dont les premières remonteraient entre les IXe et VIe siècles avant l’ère commune) ou par-delà, le très ancien Taoïsme chinois(dont les spécialistes font remonter l’origine au XVIe siècle avant l’an 0), venus par les routes commerciales (dont la principale est la fameuse Route de la soie[5]), passant d’ailleurs par la Perse, elle-même berceau d’une proche révolution spirituelle (le Zoroastrisme[6]) provoquant dans son aire géographique des tergiversations religieuses plus ou moins dualistes (vieux Zervanisme, culte des Yazatas, culte du Vohu Manah/« Bon Esprit », Mithraïsme, Mazdéisme…).

Le second, est celui d’une demande-réception de ces influences, liée au traumatisme de la déportation babylonienne des judéens (qui eut lieu en trois fois au VIe siècle avant notre ère, de -597 à -582).

Le dieu d’Israël n’ayant défendu ni son peuple, ni son Temple (son unique demeure terrestre), il fallait trouver d’autres explications que l’habituelle culpabilisation dudit peuple pour ses péchés – accusation biblique portée par les Judéens contre les Samaritains, après la déportation de ces derniers, en -722, par l’armée de l’empire néo-assyrien : les Judéens-Juifs ne pouvaient guère reprendre cette dépréciation pour expliquer leur propre sort.

On conviendra donc que la méthode Dubourg ouvre bien des portes à de très nombreuses découvertes, et ce que certains dénommeront l’hypercritique, voire le docétisme (l’hyperdocétisme ?) de « L’invention de Jésus » est autrement plus objectif, réaliste et logique que le néo-arianisme d’un « Da Vinci code » rejoignant d’ailleurs celui de Catholiques ou de Protestants modernistes.

Et que les fameux « secrets du Vatican » ne sont pas ceux d’une descendance génétique d’un Jésus historique, mais bien totalement l’inverse : son authentique inexistence historique, et, à la suite, des cycles entiers de complots, de falsifications et de crimes à travers les siècles, pour tout à la fois donner des preuves de l’existence douteuse de son pseudo-fondateur, puis celle, par conséquent problématique de la Grande Eglise majoritaire, et enfin pour asseoir sa puissance et ses finances, puis de sa mutation en Eglise catholique, apostolique et romaine. Ces « secrets » quasi bimillénaires dont le caractère profond de culpabilité, et d’abomination morale à tous les niveaux, ne font que confirmer l’inanité, et l’artificialité, d’une organisation à prétention religieuse qui n’en finit pas de sombrer…

 

Pour paraphraser Bernard Dubourg, en son ultime pique achevant le second tome de « L’invention de Jésus », en 1988 :

« De la ruine du grec du corpus chrétien à la ruine de l’historicité de Jésus et de Paul, il n’y avait qu’un pas : ça y est ! mon lecteur et moi l’avons franchi. » A notre tour, nous pouvons écrire :

Et de la ruine de l’historicité générale du Nouveau Testament, ainsi que du début de l’Histoire du Christianisme, à la ruine actuelle du Catholicisme et même de toutes les Eglises chrétiennes, il n’y avait qu’un pas, et voici que nous le franchissons, alea jacta est !

 

[1] Nous ne voudrions pas avoir une « crampe mythophile », comme dirait Dubourg, mais remarquons néanmoins la similitude avec l’Hadès grec, à la fois dieu et lieu des morts – similitude qui relève de l’Histoire comparée des religions, et nous interrogent sur un corpus religieux et mythique méditerranéen.

[2] Citons aussi pour mémoire d’autres équivalences valentiniennes : MShYH « messie, christ » = ShM HY « mot/nom = dieu/verbe ressuscité », tous de même GC de 358. Et MLAK « ange, messager » = NAM « dire/dit/verbe/logos » = H-ALHYM « les Elohim, les éons », de même GC de 91.

[3] Tels les littéralistes Juifs, les « bons pères » Catholiques ou les fondamentalistes Evangéliques exaltés qui parcourent actuellement la terre d’Israël.

[4] Comme les Ajivikas, le Jaïnisme, puis, bien plus tardivement le Bouddhisme.

[5] Cette Route qui remonte au moins à 2000 ans avant notre ère, et où, indubitablement tous les moines taoïstes errants les plus aventureux se sont engagés pour explorer l’Ouest du monde où devait se trouver les Iles Fortunées de la Mère Reine d’Occident (le lieu du Yin par excellence) – sans oublier les anachorètes gyrovagues hindous qui devaient suivre le même chemin exploratoire.

[6] Dont la chronologie de l’origine est incertaine : soit entre les XVe et XIe siècles, soit entre les VIIe et VIe siècles avant l’an 0.

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