Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Si vous effectuez un sondage sur cet auteur, il est probable que vous aurez peu de réponse, sauf chez des personnes d’origine polonaise. En revanche, bien des Françaises et Français ont croisé dans leur scolarité ou leurs lectures personnelles le roman Quo vadis. Powieść z czasów Nerona, (Quo vadis : une histoire du temps de Néron) est paru dans le revue Gazeta Polska en 1895, puis en roman l’année suivante. L’histoire est celle de l’amour d’un patricien romain pour une jeune fille chrétienne, fille du roi des Lygiens, qui fut tué lors combats qui marquèrent au 1er siècle la persécution des chrétiens, sous l’Empereur Néron.
Henryk Sienkiewicz, très célèbre dans son pays, est né en 1846 à Wola Okrzejska et mort à Vevey, en Suisse en 1916. Il a reçu le Prix Nobel en 1905. Très sensible aux droits des Polonais ballottés alors entre Russie, Prusse et Suède, l’orthodoxie et le protestantisme, l’auteur a largement participé à la construction d’un imaginaire héroïque national, en utilisant un corpus d’antiquité romaine revisité au bénéfice du christianisme. Cette orientation n’est pas à négliger si l’on veut tenter de comprendre ce que fut le succès public de la traduction française à La Revue Blanche en 1900. Malgré la réaction hostile de nombre d’écrivains catholiques hurlant à la caricature et des laïcs en faisant un brûlot religieux, il aura eu un double rôle pédagogique et idéologique, notamment dans le jeune lectorat.
Un opéra bien oublié de Jean Nouguès a été composé en 1909 sur un livret d'Henri Cain qui fut diversement apprécié de la critique, ouvrage auquel Jean-Luc Buard consacre un article, tandis que Daniel Compère s’intéresse à ce que fut l’adaptation théâtrale par Émile Moreau dès 1901. Quant au cinéma, l’article sur la filmographie (voir affiche infra) montre que le célèbre Péplum de Mervyn LeRoy, réalisé en 1951, fut le cinquième film inspiré de Quo Vadis.
Pour son numéro 109/110, Rocambole a fait appel à plusieurs spécialistes, dont certaines et certains d’origine polonaise. Cela nous permet de nous remettre en mémoire d’auteurs titres de cet auteur qui s’inscrivait contre une forme de naturalisme. Citons notamment quelques ouvrages : Le Vieux Serviteur, 1875, qui traite de la disparition du patriarcat, Esquisse au fusain, 1877 sur les paysans, Janko le musicien, 1879, et Pour le pain traitant des États-Unis. On doit également à Sienkiewicz un essai théorique : O naturaliźmie w powieści (Sur le naturalisme dans le roman), 1881.
Marie Palewska et Jolanta Sztachelska traitent en détail et de manière savante de la vie, de l’œuvre et de la réception. Claude Aziza pose la question Unde Venis Quo Vadis ? D ’où vient ce goût pour l’Antiquité, si ce n’est d’un rejet du monde contemporain et de la culture classique, notamment latiniste de l’écrivain ? Bernard Jaquier regarde ce qu’il en va du Rome convoqué. Par Sienkiewicz qui détestait le paganisme latin et voulut participer de la mise en valeur d’une période de transition entre Rome antique et Rome chrétienne.
Claude Aziza et Marie Palewska en arrivent à traiter d’Urbi et orbi, (à la ville et au monde, devenue devise papale) qui constitue la suite de Quo Vadis ?, roman écrit en 1904 .
Kinga Siatkowska-Callebat revient sur la trilogie publiée plus tôt, entre 1884 et 1888 : Par le fer et par le feu, Le Déluge, Messire Wolodowski, considérée comme fondatrice de l’identité polonaise. Puisque nous sommes dans Rocambole, Tadeusz Bujnicki insiste sur le caractère populaire de ce cycle.
Autre ouvrage important : le grand roman historique Les chevaliers teutoniques, publié en 1900, auquel s’est attaqué Lucien Larret. Le texte fut traduit en français en 1901 sous le titre Les Chevaliers de la Croix. Paradoxalement, Lithuaniens et Polonais se bâtaient contre des militaires revenus de Terre Sainte avec mission d’évangéliser l’Europe orientale. Mais ils étaient considérés comme menteurs, cupides, cruels et prédateurs. Marie Palewska revient ensuite sur les romans de Sienkiewicz écrits pour la jeunesse, leurs traductions françaises et leur postérité.
Si l’auteur peut être considéré comme populaire, il n’en fut pas moins un critique féroce de la littérature populaire de son époque, ce que nous rappelle Ireneusz Gielata. Signalons également deux autres contributions : Tomas Bielak a travaillé sur la présence des personnages des romans précités sur Internet et Michel Chlastacz sur une amitié entre l’auteur polonais et un scientifique Bruno Abakanowicz, fit Adbank (1852-1900) qui le conduisit à ouvrir ses résidences françaises à Sienkiewicz pour qu’il puisse écrire dans le calme.
Viennent ensuite deux contributions essentielles : la bibliographie des traductions française par Marie Palewska et la filmographie par Daniel Compère, aidé de Claude Aziza.
Une fois de plus, Rocambole propose un dossier complet sur un auteur qui fera référence.
Le premier des articles publiés en Varia reste en Pologne avec une étude de Michel Chlastacz sur le roman noir varsovien du très réactionnaire Leopold Tyrmand : Zly, l’homme aux yeux blancs, paru à Varsovie en 1955 et traduit en français en 1960.
Roger Musnik exhume l’un des nombreux romanciers populaires du XIXème siècle oubliés, Samuel-Henri Berthoux (1804-1891), très célèbre à son époque. Alfu revient sur des textes de Ponson du Terrail qui passèrent à la trappe chez l’éditeur Dentu et que Jean-Luc Buard a exhumés. Louis Froidevaux s’intéresse à la naissance de l’affiche de cinéma, André-Marc Aymé présente quatre enquêteurs romantiques et Jacques Baudou des compléments sur la série Enola Holmes de Nancy Springer.
In fine, on trouvera comme à l’accoutumée, des notes de lecture (rubrique « Front populaire ») et « le Coin des pseudonymes » de Patrick Ramseyer.
Quant au traditionnel et indispensable Conte du Rocambole, c’est Le chef indien (Sachem) de Henryk Sienkiewicz, texte écrit en 1883 qui a été choisi et est présenté par Marie Palewska.