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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Du rythme ternaire en monde profane

Julien Vercel

Le rythme ternaire a décidément le vent en poupe, mais pouvons-nous vraiment nous en réjouir ?

Le rythme ternaire est en effet présent parmi nous dans notre temple : depuis le triangle avec ses 3 côtés jusqu’aux symboles et gestes associés au grade d’apprenti. Mais voilà que le monde profane s’en empare ! Le 11 janvier 2024, Gabriel Attal devenu premier ministre décline son programme de gouvernement : « Je veux de l'action, de l'action, de l'action, des résultats, des résultats, des résultats ». Le 24 juillet 2024, Emmanuel Macron se veut martial et en appelle à « L’ordre, l’ordre, l’ordre » après les émeutes qui ont éclaté suite à la mort de Nahel, tué par un policier. Le 21 septembre 2024, Bruno Retailleau, à peine nommé ministre de l’Intérieur, explique : « J’ai trois priorités : rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre ». Et je vous fais grâce des occurrences de l’année en cours. Doit-on y voir la victoire de la maçonnerie sur les esprits de nos responsables politiques enfin gagnés par notre sagesse ternaire ?

Non ! Ne rêvons pas.

Le rythme ternaire chez eux ne sert qu’à marteler la même idée, bien loin de toute idée de dépassement. Il ne s’agit que d’épizeuxes politiques. Oui, l’épizeuxe étant cette figure de style qui consiste à seulement répéter plusieurs fois le même mot à la suite. Alors, quelle est donc cette lubie qui toucherait nos responsables politiques ? Charles de Gaulle, pourtant habitué du rythme ternaire, s’était même moqué le 14 décembre 1965, de ces adeptes de l’épizeuxe et avait lâché : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Europe ! L’Europe ! L'Europe ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien ».

Connaissant les liens qui unissent les domaines du spectacle et de la politique, cet engouement pourrait tout simplement être inspiré par Louis de Funès dans La Zizanie, film de 1978 réalisé par Claude Zidi. L’acteur comique y interprète un patron qui fait campagne pour être réélu maire et énumère ainsi son programme en 3 points : « le plein-emploi, le plein-emploi et le plein-emploi ».

Bref, l’origine de ce récent engouement ne se trouve donc pas en maçonnerie.

Car notre rythme ternaire s’inscrit dans une dynamique, mais ni dans une obsession, ni dans un point de fixation. Beaucoup le pensent comme, au contraire, une démarche pour réunir ce qui apparait opposé, pour dépasser ce qui semble diverger et ramener ensemble ce qui se divise. Notre rythme ternaire ainsi défini serait alors plus proche de la dialectique normalienne : thèse ; antithèse ; synthèse.

Pourquoi pas ?

Mais alors, ce serait oublier la réalité du monde qui est fait bien souvent de créolisation. Non la réalité telle que nous la percevons n’est pas faite de cases dans lesquelles chacun peut se ranger. Oui, la réalité est faite d’hybridations (1). Dans la réalité, nos catégories de classement se chevauchent, se soustraient, fusionnent. En faisant toute la place à cette créolisation ou à cette hybridation, nous nous éloignons de la trilogie thèse, antithèse et synthèse, et nous accueillons un quatrième larron : l’hypothèse… Toute attitude binaire, dichotomique ou manichéenne est certes rejetée comme dans la trilogie normalienne, cependant pas pour laisser la place à une synthèse, mais plutôt pour imaginer et créer une tierce combinaison que l’on décide d’inclure dans notre monde et qui nous oblige à en accepter son imprévisibilité et son altérité.

Quant au monde profane politique, le rythme ternaire n’y serait donc que paroles, paroles, paroles… qui « se posent sur ma bouche, mais jamais sur mon cœur » (2).

_____________

1. La notion d’hybridation et l’hypothèse qui suit sont largement inspirés par l’ouvrage de la philosophe Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l’hybridation, Paris, Le Pommier.

2. Dalida et Alain Delon, « Paroles… Paroles… », 1973.

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