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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La spiritualisation de la maçonnerie française (1/2)

Jean-Pierre Bacot

 

Une étude un tant soit peu précise du paysage maçonnique français montre une lente, mais indéniable évolution vers un spiritualisme que l’on peut définir comme un intermédiaire entre la croyance religieuse et l’athéisme. Il va de soi que ce sujet mériterait une longue étude et nous nous contenterons ici de présenter des ordres de grandeur. Ensuite, nous en viendrons à une tentative d’explication de ce phénomène qui, hélas, nous échappe, dans la mesure où cette évolution peut sembler inexorable, en tout cas dans un avenir prévisible.

D’abord, le paysage

Le Grand orient de France (GODF), avec ses 53 000 membres annoncés, parmi lesquels à peine plus 2000 sœurs, peut être considéré comme le principal pôle d’activité d’une maçonnerie non seulement adogmatique, mais aussi philosophiquement inspirée des Lumières. Pour très longtemps il sera encore structurellement masculin. Le recrutement du GODF, avec son rite français dominant et un athéisme non déclaré mais majoritairement partagé, correspond à l’état philosophique de la société, marqué par un recul massif des croyances et des pratiques religieuses.

À l’inverse, la Grande loge de France (GLDF), en partie à cause de l’influence de son Suprême conseil, est plus spiritualiste que jamais, sur un mode volontiers psychologisant, basé sur un développement personnel de ses membres, producteur d’un individualisme très en phase avec l’époque. Elle revendique 35 000 membres, dont trois sœurs transsexuelles pas encore exclues à notre connaissance. Son rapport au monde réel et donc mixte est cantonné à des conférences hors loge.

Avant d’éclater en 2011, la Grande loge nationale française (GLNF), celle qui prétend à la régularité, a connu une croissance qui allait l’amener, s’il n’y avait pas eu cette crise, à dépasser le Grand orient. De 46 000 membres, elle est retombée à 22 000, puis elle est remontée à 29 000 et devrait encore progresser. Mais il n’y a pas eu véritablement de perte pour cette tendance de la maçonnerie qui impose une croyance en dieu, en laissant le plus souvent une liberté d’interprétation de ce principe transcendant. On ne note pas de décrue en effet, puisque la principale dérivée de la GLNF, la Grande loge de l’alliance maçonnique française (GL-AMF), le premier opérateur de la scission de 2011,qui ne se différencie que pour des questions de gouvernance, totalise autour de 15 000 adhérents. Quant aux autres groupes issus de la GLNF, ils doivent former un total de quelque 5 000 membres, dont un bon millier pour la seule obédience post-GLNF qui soit mixte, la Grande loge des cultures et de la spiritualité (GLCS).

La croissance de la planète GLNF, satellites compris, et celle de la GLDF, plus fortes que celle des obédiences libérales, auront porté l’essentiel de la progression spiritualiste dans la franc-maçonnerie française.

Au Droit humain (DH), le cadre philosophique semble s’être stabilisé autour d’un écossisme tempéré, volontiers sociétal, comme on dit aujourd’hui chez les spiritualistes. Mais l’effectif progresse peu, avec environ 17 000 membres pour la France, après plus d’un siècle d’existence. On notera en passan, un relatif échec de son internationalisation et une présence pas si rare du Grand architecte venu des sections anglo-saxonnes.

À la Grande loge féminine de France (GLFF), la très active minorité de rite français regroupe environ 3 000 sœurs, mais elle ne progresse pas, sauf, relativement dans un proche avenir, si la scission écossaise qui est annoncée avec la Grande loge initiatique féminine francophone (GLIFF) devait s’avérer importante, ce qui est loin d’être certain. Ces françaises, comme on le dit familièrement, sont menacées à la marge par des départs au Grand orient qui ne semblent pas faire baisser les effectifs, mais minent la possibilité de progression de la GLFF qui tourne autour de 14 000 membres.

Pour compléter le paysage, on notera que la quasi totalité des petites ou très petites obédiences françaises sont spiritualistes, voire déistes. Elles relèvent de quatre mouvances principales.

Première mouvance, les produits de l’éclatement récent de la GLNF (GLCS, GLIFF) ou d’un départ plus ancien (Grand prieuré des Gaules-GPDG). Deuxième tendance, les obédiences égyptiennes de Memphis-Misraïm ou de Misraïm dont la plupart des loges sont mixtes. Troisième type, l’Ordre initiatique du temple de l’art royal (OITAR), mixte, fondé en 1974 par Jacques Lapersonne. Quatrième catégorie de petites obédiences spiritualistes enfin, sauf oubli de notre part, les regroupements de loges indépendantes, surtout présents dans le Sud, avec tous les rites possibles et imaginables et même du rite français traditionaliste dont l’un des animateurs est Hervé Vigier, un ancien de la GLNF.

Le spiritualisme maçonnique est donc très divisé, que cela soit pour les obédiences de quelques importance ou pour les groupuscules, mais il est de plus en plus majoritaire, toutes catégories confondues : masculine, mixte et féminine.

Si nous tentons de faire les comptes, toujours à grands traits, le rite français adogmatique regroupe environ 50 000 membres du Grand orient, une fois enlevées ses minorités de rite écossais, de régime écossais rectifié et de rite égyptien, 3 000 à la GLFF, 2 500 à la Grande loge mixte de France (GLMF), 500 au Grand orient latino-américain (GOLA), 1 000 à la Grande loge mixte universelle (GLMU), soit environ 57 000 sœurs et frères, sur un total que l'on peut estimer à 160 000 maçons et maçonnes en France, soit un gros tiers pour les sociétaux et près de deux tiers pour les spiritualistes. L’écart promet de se creuser au fil des années à venir. Un élément crucial de cette évolution sera  celle de la GLMF.

L’équilibre des rites au sein de  cette obédience est en effet en train de se modifier. Depuis plusieurs années, des loges s’ouvrent en nombre, ce qui fait que la GLMF est aujourd’hui passée devant la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra (GLTSO) en termes d’effectifs et se trouve en sixième position, derrière le Grand Orient, la Grande loge, le Droit Humain, la GL-AMF et la GLFF.

Mais la grande majorité et, aujourd’hui, la presque totalité des ateliers qui se créent dans cette obédience relève du spiritualisme. Au dernier convent de la GLMF, sur 220 loges, avec 19 allumages ayant étant réalisés en un an, 89 travaillaient au rite français, 88 au rite écossais ancien et accepté (REAA), 21 au rite de Memphis-Misraïm, 10 au rite Émulation, 6 au rite écossais rectifié (RER), 3 au rite Source et Lumière. Le rite français conservait de justesse sa majorité historique, devenue aussi relative que fragile. Au prochain convent, c’en sera fini, puisqu’on annonce 15 projets de création de loges, avec, sous réserve de confirmation, une seule au rite français.

Mutatis mutandis, la GLMF semble être devenue une sorte d’Amérique du Nord du XIXème siècle, qui était ouverte aux minorités religieuses protestantes ayant chacune leur idée de la religion. L’équilibre est d’autant plus menacé que des départs vers le Grand orient peuvent également s’effectuer.

À suivre

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