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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos de « Trésors de la faïence maçonnique française du XVIIème siècle » de Jean-Claude Momal

Joël Jacques

En cette période fébrile de banquets solsticiaux, il m'est venu en mains un bel ouvrage au format d’un catalogue d’exposition : Trésors de la faïence maçonnique française du XVIIème siècle (Dervy, 2017). C’est un cadeau parfait pour un franc-maçon, une franc-maçonne, un ouvrage intelligent et richement illustré qui nous ramène à l’un des fondamentaux de la franc-maçonnerie : le Banquet, les Agapes.

Les Banquets sont l’un des points communs aux différentes rituélies maçonniques et leur organisation ne varie que très peu d’une pratique à l’autre. Néanmoins, l'organisation d'un banquet d'ordre commence bien souvent, pour un grand nombre de Loges, par la question épineuse et nonobstant cruciale : qui a un rituel ? Laquelle est immédiatement suivie, voire, précédée de « comment dresser la table du banquet » A la question du « comment », les réponses peuvent varier, à savoir, dans un restaurant "à couvert" ou dans l'enceinte de la Loge. Mais, au XVIIIe siècle, la question du "comment" prend une toute autre mesure... celle de la vaisselle.

La pratique des « Banquets d'Ordre » est assez peu attestée dans l'histoire de la maçonnerie contrairement à celle des « Banquets » tout courts et, si les premiers n'ont pas laissé de traces majeures avant la fin du XVIIIème siècle, il n'en est pas de même des seconds qui nous valurent le délicieux sobriquet de « Fraternité de l’estomac ».

Ce qui ne fait aucun doute, c'est la permanence de la pratique du festin parmi les maçons, notamment comme élément de réception puisque selon les anciennes charges, la réception des nouveaux maçons s'effectuait durant un grand repas pris en commun.

Le fait que les premières loges se soient réunies dans des tavernes et qu’elles en portassent le nom peut facilement expliquer cette réputation. Néanmoins, comme je l'ai dit plus haut, les anciennes charges sont assez explicites sur le fait que l'accueil d'un nouveau membre s'effectuait durant un banquet au cours duquel on transmettait les mots et attouchements après l'avoir questionné sur ses motivations et fait prêter ses engagements.

L'attestation de ces pratiques est très largement antérieure à celle de la rituélie des trois grades symboliques et l'on peut affirmer sans trop de risque de se tromper que bien avant l'apparition du grade de Maître, le franc-maçon banquetait. Cependant les indications restent très évasives sur l’organisation et le déroulement de ces agapes et notamment, il reste aujourd’hui très peu de traces d’un quelconque rituel. Sauf, bien évidemment celui qui vous pratiquez et qui reste le plus ancien. Pour rester sérieux, on ne garde pas véritablement de traces de banquets ritualisés avant le tout début du XIXème siècle. Ceci étant, les trésors de table que nous livre Jean-Claude Momal démontrent que les banquets maçonniques participaient, en France, de la vie de l’Ordre depuis, au moins, la fondation de la Grande loge.

Il semble qu'à une époque où les partis politiques et guildes étaient interdits, l'organisation de « banquets » permettait de se retrouver autour d'un prétexte festif autorisé. Durant les périodes postrévolutionnaires, alors que la maçonnerie était en sommeil, c'était un moyen parfait de se rencontrer et de réaffirmer son appartenance. Peut-être, alors, certaines formes de rituélies de table virent le jour ce qui n'est pas surprenant au pays de Grimault de la Reynière où l'art de la table a souvent été considéré comme un art sacré à deux doigts d’être considéré comme le huitième art libéral. Les pratiques de table forment aussi un ensemble de schémas sociaux complexes qui peuvent tout à fait s'adapter à la pratique de la maçonnerie symbolique.

À n'en pas douter, cette coutume deviendra peu à peu, nécessité faisant loi, un « banquet républicain » puis une agape rituelle durant lesquels les hautes valeurs morales trouveront la place qui leur convient et les tribuns déploieront leurs arguments en faveur des réformes sociales.

Le banquet prendra une place importante dans le paysage politique français et sera l'un des éléments fondamentaux qui permettra, plus tard, l'instauration de la IIIème République comme une respiration après deux empires quasi successif. On connait la place de la franc-maçonnerie française dans la constitution de cette République et sa grande implication dans les réformes qui suivirent les désastres du Second empire. Il semble logique de penser qu'il n'y avait pas de contre-indication à un échange de pratiques des « banquets républicains » avec ce qui deviendra le « banquet d'ordre ». Ce transfert naturel est inhérent à la nature même de la convivialité en franc-maçonnerie et ne semble pas déroger aux pratiques de la maçonnerie anglaise qui s'organise autour de trois événements intimement liés : le rituel, le banquet et les lectures. Les trois événements étant séparés dans le temps. Pour les Anglais, néanmoins, les lectures sont parfois couplées au banquet lequel a toujours été ritualisé au rite Émulation.

L’ouvrage de Jean-Claude Momal se réfère aux pratiques de la noblesse ou de la bourgeoisie, ceux qui dressaient des tables et veillaient à rappeler à leurs convives que les travaux de loges avaient une suite logique. Quelques-unes des pièces présentées dans l’ouvrage décorent les vitrines historiques, présentoirs d’objets souvenirs des loges de nos provinces. On peut aussi penser que ces couverts et ces soupières, plats et autres ramequins étaient utilisés lors de repas profanes destinés aux maçons. En effet, on y trouve les tableaux de loge et les outils du maçon, les symboles des vertus et les emblèmes des travaux. C’est avec plaisir que l’on se laissera porter au gré d’un voyage d’une région à l’autre, au gré de contemplations d’un art de la table très particulier dont le soin et le décorum font oublier les simplicités de forme apparaissant dans les rituels de table et proposant l’art du décor de table comme la suite naturelle des festins d'accueil dans la mesure où elle se présente comme la ritualisation d'une pratique plus souple et plus proche de celle décrite par le manuscrit d'Edinburgh, par exemple, dont on peut penser que la pratique était plus modeste.

À propos de « Trésors de la faïence maçonnique française du XVIIème siècle » de Jean-Claude Momal

Pour mémoire, la pratique usuelle du banquet semble présenter comme point commun que les frères présents ne revêtement que leurs cordons pour ceux qui en disposent, il semble donc naturel que les plats et les pichets rappellent l’Ordre et sa symbolique.

L'histoire racontée ici par l'image est celle d'un trésor caché. C'est l'histoire dans l'histoire de ce patrimoine maçonnique méconnu, jamais inventorié, illustré par les maîtres faïenciers français du XVIIIe siècle, au sommet de leur art. C'est l'aboutissement d'une longue patience qui permet enfin de rassembler, pour la première fois, l'existant répertorié dans les collections publiques ou privées, en France ou à l'étranger. Abordée par le biais improbable de l'art du feu, la symbolique maçonnique du siècle des Lumières offre au regard ses mystères. Restituée en pas moins de 100 décors spécifiques répertoriés sur 250 pièces, elle dévoile dans un inventaire régional, symbolique et historique, l'exceptionnelle richesse, diversité et originalité de la pratique maçonnique française d'origine. Évocation des loges d'Ancien régime, déclinaison des systèmes naissants, expressions plus personnelles des francs-maçons eux-mêmes, jalonnent ce parcours de reconnaissance et de réappropriation. Lever le voile sur cette part confidentielle de la céramique française du XVIIIe siècle, alors à son apogée, c'est constater combien cette production si particulière y a pleinement participé et l'a brillamment illustré. C'est aussi, dans cette rencontre de l'art du feu et de l'Art royal, restituer les premiers pas de la franc-maçonnerie. C'est enfin, avec le banquet, rappeler un aspect original de ce moment maçonnique le mieux inscrit dans la sociabilité de son temps. Mais c'est surtout renouer les fils d'une mémoire symbolique et historique dont ces objets sont aussi le conservatoire, avant que le voile de mystère qui déjà en soustrait certains à notre compréhension ne les recouvre définitivement.

Jean-Claude Momal est membre du comité scientifique du Musée de la franc-maçonnerie-Grand orient de France et de l'Institut d'études et de recherches maçonniques (IDERM). Il est l'auteur de plusieurs contributions sur le patrimoine maçonnique publiées dans la revue Chroniques d'histoire maçonnique et de différents ouvrages et publications. Il a établi, en quarante années de recherches, un inventaire quasi exhaustif du décor maçonnique français sur faïence au XVIIIe siècle.

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