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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Point de vue / Faut-il "seulement" tolérer l’homosexualité ?

Le billet d’humeur d’Augustine et de Melanctha

La réédition 2021 du « Mois des Fiertés » nous amène à nous interroger sur ce besoin continuel qui consiste encore de nos jours à classer les orientations sexuelles des individus en fonction de leur sexe, sauf à vouloir les subdiviser et ainsi, les reléguer à des communautés facilement ou implicitement hiérarchisées.

L’anatomie définit le sexe de la personne comme étant une femme, un homme ou un intersexe (1). Aussi naissons-nous avec un système reproducteur et les caractéristiques physiques qui y sont associées : le vagin, le pénis mais aussi, le développement des seins, la pilosité, la voix, etc. viennent déterminer en partie notre genre, mais ce n’est pas pour autant qu’ils définissent la sexualité de chacun, entendu qu’ils ne représentent qu’une infime partie de l’identité sexuelle, voire du genre auquel les individus se définiront dans leur vie.

Vouloir définir l’attirance sexuelle envers l’autre comme dépendant de son sexe relève d’une méconnaissance totale de ce qui construit l’imaginaire sexuel, libidinal et amoureux de chaque individu. Maintenir que l’hétérosexualité serait la norme sexuelle « naturelle », alors que l’Histoire montre qu’elle n’est qu’un concept basé sur une morale sociétale, politique et religieuse ; maintenir que l’homosexualité avec sa grille de « sous-menus » serait affectée à une sexualité de « seconde zone » à peine tolérable pour certains, voire condamnable pour d’autres, empêche les femmes comme les hommes d’appréhender leur intégrité, les obligeant pour beaucoup à communiquer selon des codes sociaux qui ne font que les marginaliser. Cette marginalisation sert d’alibi aux systèmes politiques et religieux pour maintenir ces personnes à l’index de la société avec toutes les discriminations que cela suppose.

Une confusion est souvent faite entre une relation hétérosexuelle et un rapport hétérosexué. Il est évident que toute personne souhaitant assurer sa descendance doit le faire de manière hétérosexuée, même si aujourd’hui la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) (2) n’impliquent pas forcément de rapport sexuel entre deux êtres pour avoir un enfant ; il n’en reste pas moins que la procréation nécessite la rencontre d’un spermatozoïde avec un ovule pour concevoir un être humain. Pour autant, cette fécondation n’étant pas liée uniquement à une « relation hétérosexuelle » au sens intrinsèque du terme, nous ne pouvons que convenir qu’elle ne fait pas de l’hétérosexualité la référence idoine de nos sociétés et que ce pouvoir normatif de l’hétérosexualité appelé « hétéronormativité » ne représente que l’ensemble de « relations, actions, institutions, discours et savoirs qui constituent et reproduisent l’hétérosexualité comme ʺnormale souhaitable, voire naturelle et obligatoire. Jusqu’à ce jour, la notion d’hétéronormativité a été élaborée et interrogée essentiellement par des études qui cherchent à déconstruire le pouvoir exercé sur les sexualités et les genres qui ne se conforment pas à son ordre » (3).

Si les critères précédemment cités expliquent le caractère hétérosexué de la reproduction biologique, ils ne viennent cependant pas valider l’organisation sociale du fait hétérosexuel. Force est de constater qu’au regard du nombre de familles monoparentales mais aussi de couples homosexuels, nous savons que le couple hétérosexuel n’est pas forcément le seul mode d’organisation familiale et que même, « osons le dire », il n’est pas toujours une réussite pour l’éducation des enfants. Aussi, nous ne pouvons négliger la réalité de certaines sociétés où les relations hétérosexuelles relevant de l’usage commun (homme/femme) ne sont pas toujours définies comme un acte d’amour, mais plutôt comme un comportement dicté par des règles patriarcales, patrimoniales et religieuses, elles ne servent bien souvent qu’à assurer la descendance ou à soulager « l’homme » de ses « besoins » sexuels... Et fréquemment dans ces sociétés-là, nous retrouvons les comportements les plus haineux à l’égard des homosexuels, tout comme à l’égard des femmes... « ... si la reproduction hétérosexuée est la base biologique des sociétés humaines, la culture hétérosexuelle, elle, n’est qu’une construction parmi d’autres et, en ce sens, ne saurait être présentée comme le modèle unique et universel. Dès lors, il convient de se demander à partir de quand, comment et pourquoi notre société a commencé à célébrer le couple hétérosexuel. Mais il faut pour cela accomplir une véritable révolution épistémologique: sortir lhétérosexualité de ʺlordre de la natureʺ et la faire entrer dans ʺlordre du tempsʺ, cest-à-dire dans lHistoire » (4). 

En 2008, Louis-Georges Tin publie un ouvrage intitulé L’Invention de la culture hétérosexuelle (éditions Autrement) dans lequel il invite à l’exploration d’un « angle mort », d’un « impensé », de la réflexion sur les rapports sociaux de sexe : l’essor et les ressorts de la culture hétérosexuelle. Il démontre également comment la culture hétérosexuelle s’est construite socialement à partir du xiie siècle dans l’Occident chrétien. Si les pratiques hétérosexuelles sont universelles, Louis-Georges Tin relève qu’elles ne sont pas que le fruit d’un « arrangement historiquement daté des sexes et de leurs plaisirs » (5).

Les sociétés entières sont imprégnées de l’imaginaire du couple hétérosexuel, elles le subliment comme étant « l’ordre de la nature » : des contes de l’enfance à la littérature, en passant par le cinéma, la télévision, la publicité, l’art, mais aussi au travers du théâtre, des chansons, etc., tout célèbre le couple hétérosexuel. Cet « empire invisible » nous apparaît « comme la chose la plus naturelle de notre histoire » cependant « les sociétés humaines n’ont pas toujours placé dans leurs représentations culturelles cette fondamentalité de l’hétérosexualité » (6). Nous serions donc tout à fait en droit de nous interroger sur la notion « naturelle » de l’hétérosexualité qui viendrait valider l’idée que l’homosexualité serait une perversion ; « bien qu’en général, l’hétérosexualité semble la chose la plus ʺnaturelleʺ du monde, il paraît assez difficile d’en rendre raison en termes biologiques. Or, rares sont ceux qui se sont demandé si l’attirance pour l’autre sexe était commandée par un mécanisme physiologique quel qu’il soit » (7).

Encore à ce jour, pour une grande majorité de gens, l’hétérosexualité est synonyme de « reproduction », c’est la valeur essentielle pour ne pas dire l’ADN du noyau familial. Nous ne nous accouplons que pour reproduire, c’est là que se niche le mensonge et l’hypocrisie des religions, quelles qu’elles soient… alors que tout le reste ne serait qu’immoralité et déviance : « Pour le sens commun, la réponse est claire: la raison d’être de lhétérosexualité, cest la reproduction de lespèce, raisonnement qui tend à rechercher lorigine dans la fin. À défaut de la cause efficiente (serait-ce un phénomène anatomique, hormonal, neuronal, génétique?), lon tiendrait du moins la cause finale: lorigine de lhétérosexualité résiderait dans sa finalité génésique » (8).

Aujourd’hui une multitude de livres a été écrite sur le genre tout comme un certain nombre de films s’est approprié ce sujet mais peu ont pris l’hétérosexualité comme la spécificité d’un « genre ». L’hétérosexualité est tellement ancrée dans l’inconscient collectif qu’elle en est le principe normatif de nos sociétés et ne peut s’affirmer que comme un impensé. C’est sur ce principe que s’est construite notre société moderne et clivante faisant entrer nos sexualités dans des systèmes communautaristes pour mieux les contrôler... et où l’homosexualité y est – seulement – « tolérée ».

_______

1. Enfant qui naît avec un testicule et un ovaire.

2. Rappelons que la GPA est illégale en France.

3. Vulca Fidolini, « La fabrique de l’hétérosexualité », Monde Sociaux, 13 octobre 2018.

4. Louis-Georges Tin, « L’invention de l’hétérosexualité », Sciences Humaines, vol. 235, n° 3, 2012.

5. Jonathan N. Katz, L’Invention de l’hétérosexualité, Paris, EPEL, 2001 [1995]. Citation de Gwenola Ricordeau. https://journals.openedition.org/gss/997.

6. Louis-Georges Tin, op. cit.

7. Louis-Georges Tin, ibid

8. Louis-Georges Tin, « Comment peut-on être hétérosexuel ? », Cités, vol. 44, n° 4, 2010.

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