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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

"Colombe, l’espionne des Rohan" d’Alain Bellet (2)

Julien Vercel

Le roman d’Alain Bellet paru aux éditions Alcide (2021) nous plonge dans ces huit années du XVIIème siècle, de 1621 à 1629, qui virent Louis XIII et Richelieu remettre en cause les acquis pacifiques d’Henri IV et combattre les réformés. En mariant la fiction avec la « grande » histoire, l’auteur parvient à multiplier le plaisir de l’imagination par le plaisir de l’information savante sur un épisode des guerres de religion dans le royaume de France, le second étant habillement distillé au fil des aventures, chevauchées et combats de Colombe de Salisse, sans jamais tomber dans le cours magistral.

Colombe de Salisse est, à 17 ans en 1621, dame de compagnie de Marguerite de Béthune. Le mari de Marguerite, le duc de Rohan et chef du parti réformé, confie à Colombe une mission d’espionnage qui lui fera parcourir tout le Sud et l’Ouest du royaume, passant du camp royal à celui protestant et croisant la route de multiples protagonistes depuis Richelieu lui-même et ses hommes en noir jusqu’à une troupe de comédiens ambulants.

Alain Bellet, sans la contrainte de la forme classique feuilletonesque qui incitait certains auteurs de fiction historique à étirer leur prose, sait donc d’abord emporter ses lecteurs au fil de ses 526 pages par la puissance romanesque et historique de son récit. Mais également par son art du contre-pied. Contre-pied d’Alexandre Dumas père et de ses Trois mousquetaires, puisqu’ici les mousquetaires du roi combattent dans le même - mauvais - camp que les gardes du Cardinal ! Contre-pied de Paul Féval et de son Bossu aussi, puisqu’ici le héros est une héroïne qui apprend à se battre à l’épée et, de l’avis même de Richelieu, « sait parfaitement lire et s’exprimer. Cette jeune femme assez cultivée (...) doit avoir à peine vingt ans et sait converser et prendre langue sans crainte avec de grands seigneurs ».

Au XVIIe siècle, les femmes se voient de plus en plus enfermées dans les fonctions domestiques et éducatives. La résistance passe alors par un rôle littéraire dans les salons, mais aussi par la participation aux luttes politiques surtout pour les femmes nobles (1). C’est ce parcours de résistance et d’émancipation que raconte Colombe, l’espionne des Rohan. De dame de compagnie, Colombe devient, selon un sergent royal, « une femme combattante, déterminée, menteuse même ». Benjamin de Soubise, un de ses amants (2), en fait un portrait particulièrement amoureux lors de leur séparation : « Vous faîtes partie des êtres en mouvement, je veux dire sans contrainte, sans attache, sans faux-semblant. Vous êtes une femme libre dans un siècle où le mot et sa mise en pratique, hélas, n’existent pas encore ».

La conquête de sa liberté passe aussi par ses changements vestimentaires et notamment l’abandon de tenues féminines qui entravent le mouvement au profit de vêtements plus pratiques... et masculins. Comme le rappelle Georges Vigarello (3), au début du XVIIe, l’évasement de la robe se restreint, « le haut maintient sa valorisation, le bas maintient sa fixité ». Et Colombe rejette toute fixité, c’est pourquoi, comme le dit Richelieu, « elle peut aller en superbe parure, mais aussi bottée de cuir, en vêtements masculins. Elle tient parfaitement en selle au grand galop et manierait l’épée d’une assez belle façon ».

Avec une telle héroïne, pas étonnant de voir Alain Bellet épouser sa cause : le visage de Richelieu, le principal ennemi, est ainsi décrit comme « une sorte de lame de couteau, un nez pointu, un regard gris presque méprisant ». Plus loin, lorsqu’un sergent royal change de camp après les massacres et les viols commis par les troupes de Louis XIII à Nègrepelisse, l’auteur évoque « la domination monstrueuse des hommes ordinaires, se déchaînant odieusement contre les femmes vaincues » comme un écho au titre de l’ouvrage de Christopher Browning sur les agissements de soldats allemands en Pologne pendant la Seconde guerre mondiale (4). Mais comment ne pas être, avec l’auteur, aux côtés de Colombe ? « Elle avait découvert le frisson dangereux de l’aventure, elle ne pourrait jamais redevenir obéissante et disciplinée... ».

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1. Andrée Michel, Le féminisme, Que sais-je ?, n°1782, Presses universitaires de France, 3ème trimestre 1979.

2. Son autre amant est un corsaire acquis à la cause réformée, Jacques-Robert Bruniche.

3. Georges Vigarello, La Robe. Une histoire culturelle. Du Moyen Âge à aujourd’hui, Seuil, 2017.

4. Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Les Belles Lettres, 1994.

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