Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
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Jean-Pierre Bacot
Le sociologue Élie Guéraut a travaillé plusieurs années dans une ville moyenne du centre de la France, une cité en constant déclin démographique et qui n’est pas le satellite d’une grande métropole, localité qu’il appelle Lergnes et qui pourrait être Bourges ou Nevers. Il a étudié son sujet à partir d’entretiens semi-directifs menés auprès d’un quinzaine de personnes dont les noms et prénoms ont été également modifiés pour des raisons déontologiques. Il s’agit d’acteurs sociaux engagés dans le mouvement politico-socio-culturel de la ville, ce qui permet au sociologue de suivre dans son ouvrage un développement chronologique.
Depuis la fin des années 1970-80 et la mort de ce que l’on a appelé le socialisme municipal, encouragé par le pouvoir d’État, l’action de Jack Lang après celle d’André Malraux et les lois, dites Defferre, de décentralisation, la victoire du néo-libéralisme a considérablement et rapidement modifié la donne sociale et politique. La petite bourgeoisie culturelle a largement décroché de la politique et laissé le champ libre à ses adversaires.
Cette couche sociale, qui comprenait des membres de la classe ouvrière ou paysanne ayant bénéficié d’une meilleure éducation que leurs parents, et des membres de classes moyennes, catégorie qui peuplait notamment les Maisons de la Culture (il en existe une à Lergnes) et les diverses associations, s’est étiolée. Pendant que la droite et extrême-droite prenaient nombre de mairies à la gauche depuis les élections municipales 2014, la figure d’émancipation qui coïncidait avec l’amélioration de la scolarisation des couches non-bourgeoises s’est considérablement affaiblie, en même temps que la plupart des anciens militants abandonnaient leurs engagements, baissant les bras devant la progression du néo-libéralisme. Ce que certains, notamment Jean Poperen, appelèrent jadis le front de classe, et dont les membres portaient en eux, entre autres dimensions, une exigence de diffusion de la culture, s’est effrité.
Certes, dans les métropoles, le phénomène est moins patent. En effet, même si les subventions ont tendance à se réduire drastiquement, les grandes villes mènent une politique d’image qui les empêche de renoncer à financer la culture traditionnellement bourgeoise et les formes qui le sont moins. Ni ces collectivités, ni les directions d’établissements ou d’associations culturelles ne parviennent, quoi qu’il en soit, à empêcher un lent vieillissement des publics, fût-ce avec des politiques tarifaires attrayantes. Il existe, nous explique Elie Guéraut, un changement social : la petite bourgeoisie culturelle a, en quelque sorte, perdu l’hégémonie, au profit de nouvelles élites issues plus souvent des écoles de commerce que des universités.
La limite du choix d’une ville moyenne pour une analyse des évolutions croisées des politiques et des acteurs culturels est que la culture que Bourdieu appelait légitime (théâtre, opéra, concerts classique, danse, jazz, etc.), n’y fut jamais que peu présente dans ces espaces aujourd’hui en déclin, sauf marginalement. Il n’en reste pas moins que le nombre de villes moyennes françaises concernées par une déshérence démographique et une disparition des couches sociales autrefois porteuses d’exigence culturelle est considérable et qu’une telle étude permet de comprendre l’ampleur du phénomène.
L’ouvrage, vendu 24 euros, est publié chez l’éditeur Raisons d’agir, dans la collection Microcosmes.
