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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Sur « Amour et lutte des classes », Aden, Paul Nizan et les années 30, N°14, octobre 2015

Sur « Amour et lutte des classes », Aden, Paul Nizan et les années 30, N°14, octobre 2015

Julien Vercel

C’est avec un grand plaisir que nous retrouvons la revue Aden, Paul Nizan et les années 30 consacrée au thème : « Amour et lutte des classes » (n°14). Notons tout de suite que ce numéro a un côté paradoxal. En effet, l’œuvre de Paul Nizan ne semble que très marginalement concernée par le sujet. C’est ce que l’on déduit à la lecture de l’article que Mathieu Grignon consacre aux Essais à la troisième personne, écrit en 1927, année d’adhésion de Paul Nizan au Parti communiste français (PCF) et de son retour d’Aden... et qui raconte une histoire d’amour tellement « apolitique » que Paul Nizan refusa de le publier !

L’ambiguïté de l’amour

Ce premier paradoxe explique sans doute pourquoi les œuvres dont il est question dans ce numéro dépassent largement le cadre des années 1930 pour aller jusqu’aux années 1960. Il a aussi le mérite de révéler la position ambigüe de l’amour dans tous les autres écrits recensés et, notamment, dans les « romans du réalisme soviétique français » (Reynald Lahanque, « Amours réalistes-socialistes dans la France d’après-guerre. Pierre Daix, Jean Laffitte, Claude Morgan, Paul Tillard, André Stil et quelques autres ») : si l’amour sert souvent à révéler les défauts de la cuirasse militante, il ne peut pas être l’argument de conversion au communisme, car cet argument doit rester avant tout politique !

Le fantasme bolchévique

Quand on sait que plus de 10 000 Français firent le voyage en Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) entre les deux guerres (Rachel Mazuy, « Voyages, amours, et luttes des classes. Les Français en Russie soviétique dans l’entre-deux-guerres »), il n’est pas étonnant que la machine à fantasmes sexuels ait accompagné la machine à aveuglement idéologique. En fait, on constate que le voyage en URSS a surtout fait naître des couples franco-français et a pu même être un tremplin social pour les « petites mains » du communisme.

Salauds de riches !

Après la « bolchévique émancipée » qu’on espère rencontrer dans la vraie vie, une des figures féminines présentes dans les romans est celle de la prostituée prolétaire. Walter Greenwood, dans son premier roman, Love on the Dole (1933), raconte comment Sally emprunte de l’argent à Sam Grundy, le bookmaker, pour payer la crémation de son frère défunt et se fait bientôt entretenir comme une prostituée (Élodie-Amandine Roy, « Aimer au temps du chômage. Walter Greenwood ou l’amour démuni »). C’est ainsi que les relations entre le prolétariat et la bourgeoisie finissent toujours mal, en général. Un épisode des Rats (1932) de René Blech raconte comment la « bonne » bourgeoisie gère les liaisons de Philippe, le fils de famille, avec Lucie, une dactylo enceinte. Le père de Philippe a une réputation à défendre, il est avocat, et sa mère explique à son fils : « Tu ne sais donc pas que ces petites rien-du-tout s’agrippent aux jeunes gens, les dévoient, leur font oublier leurs devoirs les plus élémentaires et arrivent même à se faire épouser »… la jeune femme sera chassée et meurt probablement d’un avortement clandestin.

Mais tout n’est pas noir et pessimisme. L’intrigue principale de ce même roman, Les Rats, raconte le vrai amour entre Jacques Sarder, héritier d’une riche famille, certes ruinée, et Françoise, une jeune brodeuse pauvre vivant dans la soupente de leur hôtel particulier. Le couple choisira de s’installer et de mener une vie simple. D’autres romans dans les années 1950 mettent en scène des couples qui réussissent à se former alors que la femme et l’homme sont d’origines sociales différentes (Classe 42 de Pierre Daix en 1952 ; À bras le corps de Dominique Desanti en 1953 ou encore Le Voyageur sans boussole et Me faire ça à moi ! de Claude Morgan respectivement en 1950 et 1952.

Homosexualité et mixité obligée

Les plus originales histoires d’amour et de lutte des classes sont sûrement à découvrir dans les récits de relations homosexuelles, car, dans les années 1930, il faut encore souvent se déclasser pour coucher avec d’autres garçons (Patrick Dubuis, « Le désir homosexuel comme facteur de mixité sociale au travers des écrits de Christopher Isherwood, Stephen Spender, Daniel Guérin et Giorgio Bassani »).

Il y a bien d’autres pépites dans ce numéro d’Aden et les lecteurs retrouveront aussi la riche rubrique de lectures. Le prochain numéro paraîtra en octobre 2016 sur le thème : « Février 1934 et les écrivains français » (http://www.paul-nizan.fr/).

À suivre : un article augmenté paraîtra dans le prochain numéro de Critica Masonica.

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