Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Rédac'
Il est des titres et sous-titres qui constituent de véritables résumés. Ainsi en va-t-il de cet ouvrage: Le Graal. Queste christique et templière. De chrétien de Troyes à l’Evangile de Jean. Une question pour notre temps, que Jean Poyard nous propose chez Dervy. En plus de 700 pages (28 euros), l’auteur s’attaque en détails à la figure symbolique centrale de ce qui fut à la fin XIIème siècle le renouveau chrétien, lequel passa en partie par la naissance d’une dimension ésotérique, à vocation élitiste. Autour de cette figure d'un vase censé avoir recueilli le sang du Christ en croix, Perceval l'un des chevaliers de la table ronde, recevant d’un roi Arthur très fatigué un adoubement que l'on croira rédempteur, incarnera un idéal qui passera par la construction symbolique d’un deuxième temple, en attendant le troisième qui serait inévitablement céleste et dont l’attente cheminera avec l’espérance d’un troisième testament et, en même temps, d'une parousie (retour du messie).
Depuis la naissance du mythe du Graal, un ensemble de courants passablement hermétistes a maintenu en marge des religions instituées un flambeau qui sera réactivé à la fin du XIXème siècle, au moment où une volonté de réenchantement du monde se manifestera de multiples manières. On sait que Richard Wagner s'en inspirera grandement pour son ultime opéra, Parsifal. Dans la période la plus récente, de nombreuses oeuvres cinématographiques et littéraires ont sorti le thème du Graal de sa marginalité pour des déclinaisons inscrites dans la culture de masse. Pour ne prendre qu'un exemple, les très productifs Eric Giacometti et Jacques Ravenne, grands spécialistes devant l’éternel du polar maçonnique, ont même produit récemment un Empire du Graal (Lattès 2016), dans la veine du très emblématique Da Vinci Code de Dan Brown (Lattès, 2004).
Jean Poyard qui a fourni un travail considérable, au demeurant fort bien écrit, prêche pour les initiés. Dans son parcours de spiritualiste érudit, il s’est d’abord inspiré d’un spécialiste de l’ésotérisme chrétien, tendance orthodoxie, Boris Mouravieff (1890-1966), auteur d’une œuvre en trois volumes, Gnôssis. Il s’est ensuite intéressé à l’anthroposophie de Rudolf Steiner (1861-1925), lequel donna plusieurs conférences sur le Graal et s’intéressa à la manière dont Richard Wagner avait traité l’affaire dans son Parsifal. Entre les deux, Jean Poyard aura eu une expérience templière.
La bibliographie sur la question du Graal étant déjà fort bien remplie, on peut se demander pourquoi notre auteur, qui semble avoir tout lu et mentionne scrupuleusement ses sources, a souhaité apporter sa grosse pierre à l’édifice. La réponse à cette interrogation est peut-être à chercher dans le fait qu’il s’agit d’une aventure personnelle, d’une volonté de se rattacher à une longue filiation en revisitant le christianisme, mais en reprenant au judaïsme la pratique de la kabbale et, plus largement, un univers d’interprétations et de rebonds analogiques, en mêlant réflexion, culture historique et poésie. Mais il y va aussi d’une demande de réenchantement du monde moderne, explicitement formulée à la fin de l’ouvrage. Peu importe si le fait de poser 1998 comme année de départ d’un nouvel âge, parce que trois fois multiple de 666, déclenche le sourire du lecteur, Jean Poyard, comme bien d’autres avant lui, réclame une parole venue du Ciel et de l’Esprit, la fin de l'insupportable silence du Paraclet, et pour cela, il a écrit 700 pages qui lui ont demandé des années de travail. Le Graal, ça se mérite!