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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La robotique, le numérique, le désir et la psychanalyse

Joël Jacques

« Le désir crée le désirable, et le projet pose la fin » (Simone de Beauvoir, Pour une morale de l'ambiguïté, Gallimard, 1947)
 

Présentation du Numérique et la robotique en psychanalyse de Frédéric Tordo, par l’éditeur (L’Harmattan, 2016)  : « La psychanalyse nous enseigne que le Moi n'est pas maître en sa propre maison. Avec la naissance des machines intelligentes, du numérique et des robots, non seulement le Moi n'est pas maître en sa propre demeure mais, en plus, il est invité à migrer dans de nouveaux espaces qui augmentent certaines parties de sa vie psychique ou en oblitèrent d'autres. Les transformations psychiques qui en résultent sont considérables ! Cet ouvrage donne des outils conceptuels et cliniques pour les comprendre, au travers de trois parties : la place du virtuel dans le champ psychique (virtuel psychique, et psychopathologie des troubles limites) ; la relation du sujet avec le numérique (sujet augmenté, homme augmenté, numérique et médiations numériques dans la cure) ; enfin, sa relation aux robots (robophilie, robophobie, médiations robotiques avec l'enfant autiste, et sexualité à l'ère de l'image et des robots) ».

A

ujourd’hui, un grand nombre d’acteurs politiques et sociaux développent un questionnement souvent inquiet sur l’état de la relation entre l’homme et l’intelligence artificielle (IA). En fait, on se positionne sur le nom d’intelligence alors qu’il serait souhaitable de ne considérer, pour le moment, que la réalité numérique des choses. Aujourd’hui, ce que certains présentent déjà comme le fruit naturel de l’évolution n’est rien d’autre qu’un grille-pain programmé pour comprendre l’humain qu’il a en face de lui ; une machine dont le potentiel n’est constitué que de mémoire et de calculs qui l’amènent à construire un mode de fonctionnement essentiellement axé sur l’usage d’une forme d’empathie cognitive.

L’empathie sera peut-être la voie qui permettra de comprendre la fascination que l’humain peut éprouver envers la machine. Peut-être même est-ce la seule forme de relation ou de questionnement qui puisse décrire l’interaction entre l’humain et l’IA, ou plutôt le calculateur numérique car, en tout état de cause, il n’y a pas d’intelligence dans une machine… pas encore...

Tout aussi bien, de la réponse à cette question, peut surgir la clef du questionnement philosophique relatif au transhumanisme. En tout état de cause, on peut voir cela comme un caillou jeté dans la mare afin que les cercles concentriques de la relation à l’autre, humain ou machine, puissent voir le jour.

Sigmund Freud avait son Homme aux Loups, Frédéric Tordo, psychologue clinicien et psychanalyste, docteur en psychologie clinique, a son « homme à la tablette ». En l’espèce ; un adolescent qui n’a aucune autre interaction sociale que celles créées par les jeux de réalité virtuelle auxquels il s’adonne. Les formes d’interactions et d’empathie qu’il met en œuvre sont celles qui le relient au monde des avatars. L’ouvrage est complexe, destiné aux milieux psy et, par voie de conséquence, à ceux qui en comprennent la langue. Il reste extrêmement technique même si les perspectives se font plus claires au fur et à mesure de la lecture. L’auteur pose autant de jalons que de questions. En effet, les psychanalystes n’ouvrent pas leurs portes aux pathologies qui induisent une interrelation profonde entre l’homme et la machine. L’Œdipe ne semble pas soluble dans le numérique. Ce que l’on pourrait nommer le « complexe de Frankenstein » qui imposerait une attirance obsessionnelle vers une créature totalement artificielle ne fait pas encore partie de la palette du divan.

Ce qui attire dans l’ouvrage de Frédéric Tordo, ce qui m’a interpellé, c’est le recul que permet la prise en compte de l’empathie, qu’elle soit cognitive ou réflexive, vis-à-vis des progrès effectués par les IA. On peut constater, aujourd’hui, que les IA battent l’homme aux échecs, au jeu de go et, très récemment, au poker. On ne peut que resté interdit devant tant d’« intelligence », mais, à la lecture de l’ouvrage, il m’est venu un doute. Les machines, mêmes celle qui a censément réussi le test de Turing, sont-elles intelligentes ? Ne s’agirait-il pas, plutôt, d’une forme de mise en équation de ce qui pourrait paraitre comme de l’intelligence ? En d’autres termes, si la mécanique n’a aucune conscience, ce qui, pour le moment, ne souffre aucun doute, l’esprit de l’homme, sa fonction stratégique, ses sentiments, peuvent-ils être mis en équation ? Dans l’ouvrage de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), il ne fait aucun doute que l’ « état d’âme » appartient à la créature plutôt qu’au créateur qui revendique pour lui-même la culpabilité.

Il y a quelques années, j’ai entendu un digne représentant du corps médical pousser de hauts cris en se révoltant contre la possibilité qu’il existe des micro-expressions permettant de déceler les intentions, les mensonges, le bluff, bref toute la palette des sentiments humains. Si ces micro-expressions n’existent pas, alors l’IA qui a battu mes champions de poker était véritablement une « intelligence » et non un calculateur.

En fait, ce qui soutient l’ensemble des débats sur les machines et la concurrence qu’elle sembleraient avoir pour mission de faire vis-à-vis de l’humain, c’est le désir de plonger en soi. Qu’il se réalise ou non. Qu’il soit le fruit d’un transfert ou non. L’auto-empathie dont il est question est réflexive et son objet reste conditionné par le désir d’être immortel, du désir de durer, du désir de paraitre au-delà de ce que nous sommes, ou de celui qui fait « paraitre » l’objet du désir comme idéalisé. Le désir de tout cela qui nous fait construire ces machines avec la même volonté de continuation qui sous-tend celle de procréer… Laisser une descendance meilleure que ce que nous sommes et, surtout, transférer ce que nous sommes dans cette descendance de manière à devenir immortels. Tout commence par l’avatar que nous créons dans nos jeux vidéos. On peut enseigner les voies qui conduisent à l’immortalité. La sociologie regorge de modèles, l’ethnographie regorge de rituels qui nous montrent comment contenir les expériences dont elle offre la palette, mais, au final, cela reste un état qui ne s’obtient jamais, un état qui se construit entre Soi et Soi-même et qu’en obtenir plus est toujours dépendant du fait d’en désirer moins. Car on ne peut jamais partager l’Eternité ou en augmenter la quantité, on ne peut que la désirer, comme on désire la Lumière et l’on ne peut rien faire d’autre que transmettre ce désir comme une moisson occulte de Vérités. Pour nous tous, pour l’humain que nous sommes, en général, il s’agit de durer jusqu’à ce que nous ayons la certitude d’avoir quelque chose d’avantageux à dire sur notre propre compte… Ah ? Mais, c’est la définition de la Vanité selon Schopenhauer ça (L'art d'avoir toujours raison, éditions Circé, 1999). Nous nous éloignons du numérique car l’IA n’en est pas encore à retourner à la Terre.

L’être humain réduit à son corps peut cependant être l’objet de désir, y compris vis-à-vis de lui-même. L’empathie réflexive n’est-elle pas construite, finalement, sur l’image de Narcisse ? D’ailleurs le désir n’est jamais que désir de corps ou du corps de l’autre puisque c’est la seule chose qu’il nous est permise de voir. Lorsqu’il s’agit d’une IA, le désir est plus complexe, un calculateur peut être un objet de crainte, mais pas de désir. Il faut, pour cela, que l’IA se présente sous une forme anthropomorphe.

Mais, revenons à nos moutons, tout cela se retrouve au fil des mots de Frédéric Tordo, et beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Il nous faudra trier, ce ne sera que bien plus tard, lorsque nous sera venu le moyen de comprendre sans être obligé de faire l’effort de voir ou de nommer, comme pour écrire, lorsque vient l’instant où l’on peut se pencher sur le sens des mots sans tirer la langue pour dessiner les lettres du mieux possible.

Pour prolonger:

La robotique, le numérique, le désir et la psychanalyse
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