Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Nicolas Lebourg
Les années 1980 : le Rat noir se cherche une meute
Le GUD continue donc sa vie en underground. Après les services d’ordre de la campagne électorale de 1981, il est de nouveau en fonds et s’insère dans le Renouveau nationaliste mis en place par le Parti des forces nouvelles (PFN) en 1982. La nouvelle formation se présente comme la formation unitaire de la jeunesse nationaliste (ce que refusent tous les autres groupes) et place toute sa propagande graphique dans la continuité d’Ordre nouveau (ON) et d’Occident. Le GUD reprend un coup de fouet avec le mouvement scolaire de 1983-84 ; dès le printemps 1984, les sections GUD et MNR de Strasbourg, Orléans, Lyon et Perpignan travaillent ensemble, à la base (selon l’autobiographie rédigée par ses cadres, Les Rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes 1965-1995, éditions des Monts d’Arrée, 1995). Charles-Henri Varaut, jeune leader du GUD de 23 ans, meurt à la fin de l’été 1984. L’hommage que lui rend Bertrand Burgalat dans la presse du MNR témoigne des rapports entre les deux groupes mais aussi, à travers l’émotion du texte, de la constitution d’un champ de référents culturels communs : « Il aurait voulu quitter la terre face au soleil, mais une société qui conjure le risque ne connaît que des morts stupides. Charles-Henri Varaut s’est tué à vingt-trois ans sur une route de Provence. La jeunesse nationaliste perd un camarade, pour beaucoup un ami fidèle et attachant. Au revoir Charles-Henri. Nous n’avons pas de passé, mais nous avons une immense mémoire. Nous aurions aimé traverser le Rubicon avec toi et chaque fois que nous franchirons le hall d’Assas, nous prierons les Dieux pour que tu ne trouves pas de vigiles dans l’éternité, mais les hauts tambours qui rythmaient ton cœur » (Jeune nation solidariste, octobre 1984). Au fil des lignes, les références s’enchevêtrent et elles sont avant tout musicales : J’avais un camarade; le Cara al sol phalangiste ; les tambours sont ceux des Lansquenets. Certes, l’auteur du texte est un artiste, mais il y a là une cohérence certaine qui est plus du domaine d’une culture souterraine partagée et populaire (chants, humour) que du système politique. Cela est tout à fait révélateur de la façon très sentimentale, antidogmatique, d’être fasciste en une ère postmoderne et matérialiste. N’importe le manque absolu de prise sur le réel social : ce qui compte c’est de fonder une communauté qui se définit par le partage d’une contre-culture.
N’en demeure pas moins qu’il faudrait sauver les formes et que sans ennemi gauchiste, les gudards s’ennuient. Les affrontements avec des bandes de jeunes Noirs peuvent certes les occuper, signe du remplacement d’un ennemi politique par un ennemi racial, signe aussi du désœuvrement et de la réclusion à la marge. Ainsi l’activisme, dépourvu de sens dans la France de ces années, devient bien plus un écran de fumée que les nationalistes projettent pour s’inventer un monde qu’un mode opératoire ayant une quelconque logique politique. Le GUD n’est plus que l’ombre de lui-même : dans son bastion historique d’Assas il n’obtient aux élections universitaires que 93 voix sur plus de quatre mille suffrages (Le Canard enchaîné, 25 janvier 1984). Le MNR était alors lui aussi en mauvaise posture et il s’ouvre aux quatre vents. Les activistes légitimistes de la Garde blanche -référence royaliste- le rejoignent, menant avec eux certains de leurs amis, y compris du GUD Entre ces adeptes du coup de poing et la volonté politique de l’équipe du MNR, le courant ne passe pas complètement. La constitution de la Jeune garde va permettre d’éviter le clash (Jean-Yves Camus et René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, Presses universitaires de Lyon, 1992).
Le processus d’unification débute officiellement pendant l’été 1984, après les élections européennes où le Front national (FN) a obtenu 11% des votes et repoussé par là-même tous les autres mouvements d’extrême droite hors du monde politico-médiatique. Ce sont les jeunes PFN qui, avec ceux du MNR, engendrent un nouveau mouvement, la Jeune garde (JG) qui reprend ainsi le nom du nouvel hymne du MNR et par-delà dessine une généalogie avec les Groupes action jeunesse (GAJ) et leur Jeune garde solidariste. La JG n’a pas pour fonds baptismaux quelque opération révolutionnaire, mais les manifestations de juin pour les entreprises d’enseignement privé catholique (« l’école libre ») : « il ne s’agit plus d’attaquer l’Aeroflot, encore moins de prendre la Bastille : il s’agit d’affirmer l’Idée nationaliste à l’avant-garde de l’opposition populaire » écrit Jeune nation solidariste. C’est sur ce droitier principe qu’est décrété, le 3 juillet, sur la base du programme du MNR, que le GUD, et les jeunes MNR fusionnent pour donner jour à la JG (Jeune Nation solidariste, juillet-août 1984). C’est donc à ce stade, manifestement, une première entente PFN-MNR via le GUD et au bénéfice du MNR. Toutefois, cette annonce de fondation est assez étrange, car la première section de la JG n’est fondée que le 21 février 1985, à Perpignan, avec un président portant le même nom de famille que celui de son correspondant de la section PFN locale… Il semble, en fait, qu’au printemps 1985 des sections unitaires MNR-PFN sont réalisées à Perpignan, Bordeaux et Toulouse, et on annonce dès cet instant la création d’un parti unitaire pour l’automne (Ludovic Piquemal, Groupuscules et mouvements d’extrême droite hors Front National dans les Pyrénées-Orientales 1984-2003, master d’histoire, Université de Perpignan, 2003). Le Secrétariat national de la JG est lui-même fondé en février 1985 (Bulletin de liaison du MNR, 23 février 1985, document interne qui paraît bien témoigner que la JG est l’affaire du MNR et que l’annonce de la fusion l’été précédent est une tentative de forcer la main à un processus unitaire).
Ces rapprochements et naissances permettent aux néo-fascistes d’annoncer la naissance d’une union des nationalistes, baptisée Troisième voie (TV), tenue par l’équipe de feu le MNR. Leur espoir est de récupérer les déçus du lepénisme qu’ils récupèreraient sur la base d’un discours révolutionnaire et populaire. La réunion de fondation rassemble une centaine de personnes. Le nouveau mouvement ne se défait pas du style « humour gudard » en naissant : on déclare au journaliste présent qu’étant donné le succès « la prochaine fois il faudra qu’on prenne un stade » (Libération, 11 novembre 1985).
Troisième voie ne souhaite pas laisser les jeunes trop s’ébrouer. La JG et du GUD reçoivent une attention toute spécifique : ce sont « des appellations strictement contrôlées par le Mouvement » dont les actions s’exercent sous le contrôle de la direction, mais qui « sont des sigles autonomes autorisés à enregistrer des adhésions sympathisantes (sic), placées sous la responsabilité de la structure régionale » (compte-rendu du conseil national des 14-15 septembre 1985, document interne). C’est-à-dire que, face au caractère foncièrement provocateur des jeunes, est mis en place un système qui permet de les canaliser et de s’en désolidariser. L’agitation gudarde n’est pas mauvaise en soi, loin s’en faut. C’est encore le GUD qui crée l’événement au cortège Jeanne d’Arc de 1986 avec une banderole frappée de la croix celtique qui apostrophe le nouveau ministre de l’Industrie en ces termes : « Madelin paye ta cotise ». Sa photographie a un large écho dans la presse et c’est un prétexte somme toute bien pensé pour faire parler du GUD et de TV.
Les groupes ont vu leurs compétences être redistribuées, la JG étant en charge des lycéens et le GUD des étudiants, les mouvements cosignant également les tracts en tant que jeunes de TV. En un an, le GUD-JG a organisé un camp d’été regroupant 50 personnes et il voit ses effectifs s’élever à 120 cartes, ayant ainsi 30 encartés et 50 sympathisants à Paris comme à Aix-en-Provence, ou 10 encartés à Nantes. Certains membres se rebiffent localement, la section toulousaine passe ainsi de 18 à 4 adhérents. Il faut, certes, leur rappeler quelques principes de l’action partisane, par exemple que « La Jeune Garde est un mouvement politique et non une bande de copains », ou que « Nous ne sommes pas un repère de mythos ratonneurs », mais certains s’avèrent très dynamiques. La section de Perpignan, avec ses 8 encartés et 14 sympathisants, est ainsi montrée en exemple pour être parvenue à faire publier plusieurs articles dans la presse locale et à disposer de deux élus dans l’université de leur ville (GUD-Jeune garde Infos, avril 1986 et juillet 1986, documents internes). Son responsable est préposé, aux assises fondatrices de la JG, au rapport sur les conditions d’implantation locale (MNR Informations, 19 avril 1985, document interne). Néanmoins, le GUD adopte derechef et massivement ses mœurs coutumières. L’action syndicale n’est jamais facile pour les gudards, qui attaquent à la grenade à plâtre le local de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), entraînant contre eux une motion du conseil de l’université de Perpignan réclamant des poursuites judiciaires. Le travail syndical est ainsi ruiné par la facilité de l’activisme : Perpignan n’était pas Assas et le GUD l’ignorait… Au niveau national, le GUD en revient au matraquage frénétique des étudiants manifestants (hiver 1986, mouvement contre la Loi Devaquet) qui braque sur lui les feux de la rampe médiatique et du microcosme extrême droitier, lequel retrouve là ses image et rôle de champion de la réaction. L’apport militant engendré tend à repositionner le GUD vers son penchant initial d’ultra-droite anticommuniste activiste se donnant des airs révolutionnaires (phénomène déjà dénoncé par François Duprat) et, de plus en plus, il ne resurgit que pour produire des agressions sur les campus contre les étudiants de gauche (MNR Informations, janvier 1986, document interne).
Le travail avec la jeunesse estudiantine n’est donc pas aisé et, au premier janvier 1987, TV décide de centraliser les adhésions en adoptant un système de carte unique, privant le GUD et la JG de leur autonomie. Il n’est pas totalement fortuit que cette résolution soit concomitante de la décision d’une accélération des cours de formation par la préparation de séminaires de fin de semaine en gîte rural (TV Bulletin bimensuel d’information, 10 janvier 1987, document interne). L’année suivante, le conseil national du mouvement précise que le seul nom à déclarer en préfecture est celui de TV (documents préparatoires au conseil national du 8 mai 1988, documents internes), GUD et JG deviennent donc de facto des noms qui n’existent plus que dans le matériel de propagande. Face aux débordements des cortèges Jeanne d’Arc, devenus à l’évidence essentiels à cause de l’éclosion du FN, la direction diffuse de claires et impératives recommandations : ni provocation, ni violence, ni injure ne sont admis de la part des militants. On informe les militants que, désormais, les croix celtiques sont interdites dans les manifestations. Lorsque est organisée une commémoration en l’honneur de Brasillach, il est précisé que ce sont les « paroles françaises » de J’avais un camarade qui doivent être entonnées. On souligne que, si le fascisme est considéré comme positif, cela doit rester confidentiel et que tout folklore mussolinien est interdit en public (MNR Bulletins de liaison, 12 décembre 1984 et 23 janvier 1985, documents internes).
En somme, les gudards et les tercéristes prennent de la distance, et les seconds tentent d’y remédier en resserrant des liens de sujétion établis à leur profit. Les premiers n’ont pas l’assise doctrinale de l’équipe de Jean-Gilles Malliarakis, ils n’apprécient ni la critique permanente du FN, les rapprochements étant sanctionnés par la direction de TV par une exclusion pour « contacts avec la réaction », ni que l’activisme soit bridé, les comportements typiquement gudards pouvant entraîner l’exclusion pour « provocation ».
Certes, le GUD s’est « Nrisé » avec TV, mais c’est justement sur un thème NR, adopté par capillarité auprès de TV, « Nous ne serons pas les Palestiniens de l’Europe », qu’il organise un meeting propre où il constate son succès et, partant, la possibilité de revoler de ses propres ailes. Il se procure de nouveau un peu d’argent en assurant, durant la campagne des élections présidentielles de 1988, le service d’ordre de Raymond Barre. À TV, certains n’apprécient pas forcément ce travail pour celui que Jean-Gilles Malliarakis désigne depuis dix ans comme un agent de la Trilatérale (ou, tout du moins, ils affirment après coup ne pas l’avoir apprécié). Le 7 mai 1988, le GUD peut donc organiser un nouveau meeting à Paris, « Préparons l’alternative nationaliste », où il annonce sa rupture avec TV et la reprise de son indépendance. Les mauvaises relations sont encore tendues par l’inimitié entre William Bonnefoy qui a pris la direction des gudards et Jean-Gilles Malliarakis. Leur dégradation continuelle aboutit à ce que le GUD attaque un meeting organisé par TV le 26 mai 1989 à la Mutualité. Il y découvre, effaré, qu’il est une chose d’attaquer des étudiants sur un campus, une autre d’attaquer d’autres nationalistes : c’est au fusil qu’on lui répond! (Les Rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes 1965-1995, éditions des Monts d’Arrée, 1995 ; Éric Rossi, Jeunesse française des années 80-90 : la tentation néo-fasciste, L.G.D.J., 1995 ; TV Inspection régionale, 23 mai 1988, document interne).
En définitive, TV a certes fait évolué politiquement mais aussi sociologiquement le GUD. Jusque là, il était depuis toujours composé d’enfants de la bourgeoisie. Ils ont découvert des prolétaires de droite et Vaincre, le bulletin gudard, est sans doute le premier dans la presse d’extrême droite à avoir traité de la musique skinhead. La décennie suivante étant particulièrement marquée par la prolétarisation de la composition sociologique de ce champ politique, c’est là un élément des plus notables.
À suivre