Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Nicolas Lebourg
Les années 1990 : le rat noir voyage
Comme toutes les marges politiques en voie de disparition, le GUD trouve de l’oxygène dans le légendaire des luttes étrangères. Avec les dissidents frontistes d’Espace nouveau il créé ensemble un Comité France-Croatie puis un Front franco-serbe de solidarité (Rouge, 11 mars 1993). Des membres du GUD rejoignent les combattants croates, recyclant les anciens slogans : « aujourd’hui Osijek, demain Paris ! ». Présents durant un semestre, ils reviennent ensuite en France et il n’est sans doute pas fortuit que ce retour coïncide avec celui de l’activisme anti-gauchiste : après avoir combattu les « communistes » serbes, le GUD ne saurait plier devant ceux des facultés (Les Rats maudits. Histoire des étudiants nationalistes 1965-1995, éditions des Monts d’Arrée, 1995). L’engagement armé en Croatie devient l’objet d’une lutte symbolique de légitimation. Ainsi, quand bien même il s’agirait de faire preuve d’ouverture en s’entendant avec des nationalistes étrangers, l’esprit de division prime, au-delà du courage physique des uns et des autres, en ce qui concerne les implications intérieures de cet engagement. Ce dernier n’est pas motivé par une analyse documentée et circonstanciée, mais par des considérations esthétiques et sentimentales. Cette impulsion rencontre un intérêt tout ce qu’il y a de plus intérieur : faire concurrence aux autres nationalistes de par la production d’un légendaire combattant, d’un héroïsme romantique et empirique.
L’indépendance du GUD n’était qu’une chimère. Le « label » GUD n’a pu perdurer qu’en passant une fois de plus sous les fourches caudines. La question est résumée par son nouveau chef, Frédéric Châtillon, en 1992 : « On aide le Front parce que sinon on ne serait qu’une poignée ». En 1990, sous l’égide de l’ancien sympathisant de TV, Michel Murat, est lancée par le Front national (FN) une confédération syndicale des étudiants nationalistes, le Renouveau étudiant (RE), au sein duquel le GUD collabore avec divers groupes rassemblés autour du Front natuonal de la jeunesse (FNJ). Il co-fonde avec celui-ci un Rassemblement étudiant parisien à l’objectif ainsi résumé par l’ex-Groupes nationalistes révolutionnaires (GNR), devenu très proche de Bruno Mégret dans la direction du FN, Franck Timmermans : « Au-delà des querelles passées, l’union est faite et nous allons leur en mettre plein la gueule ». C’est au sein du GUD un ex-TV qui a poussé à cette stratégie, au sein du FNJ un ancien du GUD et Damien Bariller, membre du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) et directeur de cabinet de Bruno Mégret. Le meeting a lieu sans lepénisme aucun, mais avec un hommage appuyé à Pierre Vial, le leader de l’aile völkisch, et des références à Drieu, Brasillach ou Degrelle. Éric Rossi, skinhead et politologue, rapporte à propos de cette manifestation qu’« au cours d’une réunion rappelant étrangement les meetings du mouvement Troisième voie, Michel Murat exhortera une salle bondée à se battre pour conquérir ‘le pouvoir pour mille ans’… » (Éric Rossi, Jeunesse française des années 80-90 : la tentation néo-fasciste, L.G.D.J., 1995 ; Le Monde, 2 décembre 1993 ; Réseau No Pasaran, Bêtes et méchants: petite histoire des jeunes fascistes français, Reflex, 2002). Samuel Maréchal, ex-TV, gendre de Jean-Marie Le Pen et responsable du FNJ, tente de s’appuyer sur le GUD pour contrer les amis de Bruno Mégret au sein du RE et du FNJ. Le GUD obtient de pouvoir participer à la fête des Bleu-Blanc-Rouge et enchaîne… en rejoignant les mégretistes dont il forme leur service d’ordre (1997) afin de protéger cette aile du service d’ordre du parti, le Département protection sécurité, le DPS (Renaud Dély, Histoire secrète du Front national, Grasset, 1999). Les gudards participent ainsi à tous les conflits internes à l’extrême droite sans hésiter à changer plusieurs fois de camp. Ainsi eux qui avaient rossé plusieurs membres de Nouvelle résistance dont l’un de ses dirigeants, en considérant qu’ainsi ils « cassent du gauchiste » rejoignent les débris de Nouvelle résistance pour former Unité radicale… (Lutte du peuple, avril 1993).
En effet, le GUD est le seul groupe à répondre positivement à l’appel unitaire donnant naissance à Unité radicale (UR). Cet accord a surtout une valeur symbolique : le GUD est alors plus que jamais un groupe plus ou moins fantôme, mais dont le nom représente une « légende » (pour les militants nationalistes, pour les media, pour les gauchistes qui, à l’énoncé de ce nom, voient surgir les barres de fer). Par quelques violences, il refait parler de lui dans les media lors du lancement d’UR, reprenant sa tactique coutumière de provocations publicitaires. Cela redémontre comment, pour le développement d’un mouvement nationaliste, la violence est nécessaire pour amorcer la pompe de sa renommée, d’où la nécessité impérative de toujours prendre le contrôle de l’étiquette “GUD”. UR le montre bien, qui expose que la presse relaye presque à coup sûr les violences du groupe, lui assurant une judicieuse publicité (La Lettre du Réseau, novembre-décembre 1998, document interne).
Cela pose toutefois des problèmes révélateurs :
a) l’organisation se plaint que ses militants se revendiquent du GUD plutôt que d’elle (Réflexions sur le développement d’UR, s.d., document interne) ;
b) la violence attire les personnes posant des problèmes pour l’action politique structurante : on ne peut considérer comme un simple hasard le fait que Maxime Brunerie décide, parmi les trois affiliations existant officiellement au sein d’UR, de rejoindre le GUD. Il n’est en rien étudiant, mais bel et bien soucieux de correspondre à une imagerie activiste. Dans le même esprit, le skinzine Jeune Résistance devient un temps l’organe du GUD et il y use d’un slogan typique : « La barre de fer comme moyen d’expression ». Mais toutes les violences dont on s’y flatte ont un point commun : elles frappent des adversaires désarmés. La violence du premier GUD s’exerçait contre des militants aguerris, organisés, pour le moins aussi violents que les néo-fascistes. Désormais il s’agit de personnes qui n’ont aucun rapport avec la violence physique. La violence dont se flatte UR est d’un apport nul dans le domaine du combat politique et ne sert qu’à surjouer l’image du « méchant » : universitaire réputé de gauche frappé au visage par le casque de moto qui couvre le visage de l’attaquant ; attaque de l’écrivain libertaire Maurice Rasjfus par « trois courageux jeunes gens » dont la somme des âges ne fait peut-être pas celle de l’agressé ; Noir marchant dans la rue qui se fait poignarder à la sortie du restaurant où se fêtaient les trente ans du GUD (après destruction du lieu et passage à tabac de son propriétaire) ; attaque armée de vendeurs de journaux Ras l’Front sur un marché, barres de fer contre feuilles de papier ; apologie du colleur d’affiches du FN dont le courage révolutionnaire a consisté à tirer une balle dans le dos d’un Noir de 14 ans… On ne trouve en revanche aucune trace d’un affrontement avec des activistes redskins ou sionistes.
C’est là le signe d’une profonde déconstruction politique, les jeunes nationalistes croyant s’inscrire dans un légendaire de combat quand leur attitude ne renvoie en miroir qu’à celle des délinquants qu’ils conspuent. Cependant, le redéveloppement militant paraît avoir permis un réépanouissement politique ; alors qu’UR vire à droite vers des positions plus identitaristes, völkisch, que NR, le GUD, toujours contradictoire, connaît son propre chemin.
Conforme à sa tradition, le GUD décide de lancer un nouvel organe qui lui soit propre, Jusqu’à nouvel ordre (1999), et il refuse de faire preuve du même enthousiasme philo-mégretiste que la direction d’UR suite à la partition du FN (décembre 1998-janvier 1999) en un lapidaire slogan : « Ni œil de verre, ni talonnettes ». Trente ans plus tôt, Jusqu’à Nouvel ordre aurait fait hurler le rat noir à la trahison de l’Occident. « Il n’y a qu’un ennemi de l’Europe, les États-Unis, et tous les autres fléaux qui nous touchent –mondialisme, libéralisme, immigration– ne sont que les outils de sa domination » lit-on dans l’éditorial. Le dossier sur « La trahison des nationalistes » s’achève en considérant que « le Dr Goebbels disait au soir de sa vie ‘Avec les Russes nous perdrons notre liberté, avec les Américains nous perdrons notre âme’. Mais le climat n’était pas favorable aux adages berlinois… (…) L’anti-islamisme n’est qu’un paravent de la soumission au lobby. [Que les membres de l’extrême droite] comprennent que ce qu’est le sort des Palestiniens aujourd’hui sera demain le nôtre si la mainmise sioniste sur l’Europe, à l’extension de laquelle ils contribuent par leur soutien à Israël, se faisait totale. Qu’ils comprennent que la Cisjordanie est le banc d’essai de la mondialisation sous direction américano-sioniste. Voulons-nous être les Palestiniens de l’Europe ? » (Jusqu’à Nouvel ordre, n°1, 2002). Le GUD conserve néanmoins ses ambiguïtés quant à la réaction. Au premier mai 2000, c’est le FN qui lui refuse de défiler avec lui. Un an plus tard, le DPS et le GUD chargent conjointement à Nice les manifestants contre la mondialisation suite aux insultes qu’ils auraient adressées au cortège FN (Jeune Résistance, printemps 2001).
UR met en place une séparation fonctionnelle, employant le sigle G.UD pour les actions violentes et de celui de l’Union des étudiants nationalistes (UDEN) pour ses sections estudiantines officielles. Derrière cette stratégie semble pouvoir s’être dissimulée une volonté d’encadrer le GUD-Paris au sein d’un mouvement comptant des sections provinciales moins animées de pulsions autonomistes. Lors du conseil national d’UR du 18 décembre 2002, la tension est manifeste, puisqu’il est précisé que l’appellation GUD appartient à UR et que les velléités d’indépendance de sections du GUD seront sanctionnées par leur dissolution (« Motions administratives adoptées par le Conseil national de Bourges d’U.R. », La Lettre du Réseau, décembre 2001, document interne). In fine, le GU.D reprend sa liberté, est las du mégretisme d’UR, « en a ras-le-keffieh des sionisteries des uns et surtout des autres, et décrète que ça a assez duré » (Jusqu’à Nouvel ordre, n°1, 2002). En somme, UR prend une leçon de nationalisme-révolutionnaire de la part du GUD qui en assène une autre dans le même élan à Guillaume Faye sur l’art d’appliquer le principe schmittien du politique et de procéder à une analyse sociologique… Lui pour qui Alexandre del Valle avait fait des conférences de formation, le désigne désormais comme un agent sioniste infiltré (Le GUD évoque les conférences d’Alexandre del Valle et Guillaume Faye dans « Formation d’abord ! », Jusqu’à Nouvel ordre, hiver 1999-2000). Le GUD redisparaît et si certes des velléités existent de la faire renaître encore une fois, la page est bien tournée.
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Peut-on produire des conclusions politiques de l’histoire si chaotique de cette organisation ? La chose est délicate de par l’absence de continuité organique, militante, idéologique. L’absence absolue d’ordre et de doctrine très typique de l’extrême droite française est ici menée à son summum. Celle-ci même fait bien sûr sens, et il est patent que le GUD peut-être vu comme un symptôme de la postmodernité. C’est ce qui fait son ambiguïté heuristique et le fait s’échapper aux analyses taxinomiques, ce qui n’est pas pour déplaire à un rat noir avide de défendre son individualité. Pour appréhender le GUD l’un de ses responsables m’ exposait qu’il ne faut pas le voir « comme si c’était un parti politique sérieux avec son programme et son idéologie (…). Les Rats Noirs c’est juste une bande de potes motivée plus par l’action que par les idées exprimées en petit 1 et petit a. Le spectre idéologique des militants va facilement des royco bon teint aux NS plus NS que Degrelle, en passant par les tercéristes, cathos tradi, lepénistes, NR etc » (mél d’un responsable du GUD, 2003). Le propos paraît fort juste et offrir plus de clefs pour comprendre le phénomène qu’effectivement la mise en classification politologique.
Mais ces convulsions sont aussi un fil d’Ariane pour comprendre les transformations du nationalisme. À chaque fois, l’ennemi que se choisit le GUD est révélateur de sa décennie. Un de ses militants, par ses propos, illustre parfaitement également l’autre face de cette question : l’importance du regard antagoniste, lorsqu’il déclare : « à force de s’entendre traiter de nazillons par des gens que l’on hait ou que l’on méprise, on finit par se dire qu’au fond, après tout… » (Cité in Bernard Brigouleix, L’Extrême droite en France. Les « Fachos », Fayolle, 1977). En somme, en politique, choisir ce que l’on hait est souvent le premier pas pour désigner ce que l’on est. Le fait que la gauche ait fait du GUD un mythe explique bien plus sa survivance que les qualités d’organisation des gudards. Le problème du GUD est de s’être survécu. Son mode d’action n’avait de sens que dans les années 1970, face à la violence gauchiste. Avoir survécu à son auto-dissolution revenait à jouer à la politique dans la caverne des ombres, et était juste promis à mobiliser un mythe. Cependant, tenir éveillés des mythes vitalistes au sein d’une ère matérialiste n’est-ce pas précisément ce à quoi aspirent les néo-fascistes ?