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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos du « Code secret de l'univers » par Igor et Grichka Bogdanov

Georges Bormand

Quand un livre ( Le Code secret de l’univers, Albin Michel, 2015) commence par l'annonce suivant laquelle l'auteur va démontrer une affirmation que je tiens a priori pour fausse, le lecteur que je suis se trouve immédiatement en position de rejet. Et ce rejet ne peut que s'aggraver quand, dès l'introduction, je repère un postulat que je conteste (la vision platonicienne de la préexistence des idées à leur formulation), à l'opposé des recherches actuelles des sciences cognitives ou de la sémantique qui, telles que je les lis, valideraient plutôt les notions de création des idées à travers l'invention des concepts et des mots qui les désignent. S'ajoute à ces motifs de rejet immédiat une énorme pétition de principe, l'idée que l'existence de lois dans l'univers impliquerait une programmation, une création volontaire par une entité consciente préexistante à l'univers. Sans oublier le mélange de cette vision platonicienne avec la vision pythagoricienne de l'univers engendré par le nombre entier, vision mise à mal dès la découverte par Eudoxe des nombres irrationnels et que le théorème attribué par une pure antiphrase à Pythagore a, de fait, rendue caduque.

Mais les mathématiques des Bogdanov ne comportent pas la conscience de la différence entre continu et discret, entre rationnel et réel. Sans cesse le raisonnement, si on peut appliquer ce terme à la rédaction du livre, mélangera les deux logiques pourtant distinctes du continu et du dénombrable, comme elle mélange les résultats finis et les résultats à l'infini, à la limite. Notions qui ne sont pas seulement abstraites, artificiellement rajoutées par la pensée à un univers qui reste fini et, si jamais l'existence de quanta élémentaires de temps et d'espace devait être découverte comme certains chercheurs l'ont pressentie, discret et dénombrable en restant dans les nombres entiers...

De plus et même si l'univers devait rester « continu », le temps et l'espace indéfiniment divisibles, la description des réalités de l'univers par des nombres bute irrémédiablement sur le fait que les mesures ne peuvent se faire qu'avec des nombres rationnels, voire le plus souvent avec seulement des nombres décimaux, et impliquent de ce seul fait l'obligation de se limiter à des approximations plus ou moins précises, elles-mêmes soumises au théorème d'incertitude d'Heisenberg.

Du coup, à chaque fois que les auteurs prétendent parler d'un code secret de l'univers, le cogniticien limitera sa prétention à la recherche d'un code de la compréhension de l'univers par les humains, code de plus lié à un mode de pensée précis, structuré par une construction des mathématiques aujourd'hui considérée comme universelle parce que les autres modes de compréhension mathématique du monde ont été l'un après l'autre supplantés par elle.

Alors faut-il pour autant rejeter les idées intéressantes, même si mises au service d'une volonté de démonstration qui, de surcroit, s'affranchit du respect de la chronologie des découvertes (au nom de la préexistence des réalités découvertes supposée dans la vision platonicienne), ce qui aboutit à un raisonnement de type patchwork et non à une ou des pistes de raisonnement qu'on peut suivre ? Faut-il, à cause de ces défauts de logique et de rigueur, ne pas profiter des nombreux rappels valides pour s'émerveiller devant la complexité du monde mathématique et des découvertes d'Euler, Gauss ou Riemann... ? Rappel d'autant plus insuffisants que systématiquement mélangés.

Alors que les auteurs répètent à l'envi que certains mathématiciens voyaient dans le nombre (Lequel ? Le mélange entre numération à base rationnelle et usage des réels ne cesse de rendre invalide toutes ces invocations), la base de la réalité (je répète que, tout au plus, il pourrait être une base de la connaissance de cette réalité), ils omettent de discuter la phrase pourtant connue d'Albert Einstein : « Dieu n'est pas mathématicien », et l'autre remarque du même auteur : « Le plus grand mystère des mathématiques est le fait qu'on puisse les appliquer à la compréhension du monde ». Le monde, selon Einstein, n'est pas écrit avec des outils mathématiques, en particulier avec les nombres. Ceux-ci sont un outil de la compréhension, se situant non au cœur du réel, ni même entre réel et perception, mais bien entre perception et compréhension. Ce qui rend leur efficacité quasi-miraculeuse.

S'ajoute aux autres insuffisances du pseudo-raisonnement incantatoire le fait qu'un certain nombre de résultats sont présentés de manière incorrecte, telle ou telle faute de rédaction  comme une confusion entre maximum et minimum ou entre l'existence d'un résultat et sa nécessité s'ajoutant à l'imprécision dudit résultat évoqué. Il reste au lecteur qui veut savoir quoi retenir de l'idée à aller consulter réellement la source citée. Ce que je ferai, le plus tôt possible, pour certains résultats que je ne connaissais pas. Et pour savoir en particulier si certaines analogies ne résultent pas de constructions analogues plus que de la nature de l'objet étudié.

En bref : ce livre me pose la question de savoir si un éditeur ne doit pas, à la place de la seule recherche du profit, avoir une certaine déontologie qui lui interdirait la publication d'un ensemble de mensonges ou de contre-vérités, d'une pseudo-démonstration qui vise, sciemment ou non, à abaisser les capacités critiques du lecteur, à ne jouer que sur une mauvaise rhétorique et la prétendue autorité de l'auteur connu. Encore faut-il, dans un sujet aussi difficile, savoir si on peut exiger d'un éditeur grand public la compétence des relecteurs de Nature.... Livre à lire avec de longues pincettes, comme quand on dîne avec un sataniste.

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C
Cher Georges,<br /> <br /> Ne t'en fais pas, tu fais oeuvre de salubrité.<br /> Continue à produire sur ce blog de plus en plus passionnant
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G
En relisant mon article, j'ai envie de répondre partiellement à la question que je pose sur la légitimité d'une telle publication. À partir du moment où un raisonnement aussi fallacieux que celui des Bogdanov est possible et existe, il est bon que ce raisonnement soit mis sur la place publique et discuté. Sauf que ce n'est pas ce qui se passe actuellement. Ceux, ils sont peu nombreux mais je suis loin d'être le meilleur, qui peuvent en voir les défauts, ceux-là, pour la plupart, ne liront même pas le livre, l'abandonneront en route après en avoir vu les premiers défauts qui rendent la suite sans intérêt, ou ne ressentiront pas le besoin de partager leur rejet. Moi-même, si je ne m'étais pas engagé à lire tout, aurais pu m'arrêter dès que certain de la fausseté de la thèse, et je suis très loin d'être le plus doué pour en exprimer ce rejet. Alors le livre paraît auréolé de tout le prestige des Bogdanoff, est présenté comme une œuvre irréfutable de personnes investies de l'autorité suprême dans le domaine. Et ce dans une collection grand public, où l'idée même de lire avec le doute demandé par Descartes n'est pas de mise. Là est l'inacceptable. Et mon article qui ne s'adresse qu'à un petit nombre de personnes qui font cet effort de réflexion n'y changera rien, hélas.
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