Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Rédac'
Dans ce numéro double et d’automne de la célèbre revue qui en est à son tome XLVII, on en apprend de belles sur René Guénon. Philippe Langlet est allé fouiller dans toutes les archives disponibles pour constater que l’entrée de l’auteur de L’Ésotérisme de Dante à la Grande loge de France ne fut pas aussi simple qu’il est de coutume de le répéter de livre en livre. En effet, après sa radiation de la famille martiniste et en provenance d’une obédience maçonnique espagnole qui n’existait plus et avant d’être admis à la loge Thebah qu’il croyait plus spiritualiste qu’elle ne l’était vraiment, et où il ne resta pas très longtemps, l’apôtre auto-proclamé de la tradition primordiale essuya quelques échecs. Philippe Langlet nous détaille ces micro-événements en même temps qu’il donne de précieux éléments sur ce que furent les rapports entre René Guénon et Oswald Wirth. Quoi qu’il en soit, on restera étonné de la facilité avec laquelle les diverses obédiences -que le premier nommé aura effleurées- lui auront accordé une impressionnante collection de grades et ce, en quelques brèves années, avant qu’il n’abandonne tout pour l’anti-maçonnisme, une forme de catholicisme, puis l’Islam. Quant on connaît le nombre de celles et ceux qui font de ses écrits le prêt-à-penser de leur propre rapport à la tradition, cela peut laisser songeur.
Auparavant, Pierre Noël nous expose une autre trouvaille d’importance, un texte anglais de 1730 quelque peu ironique sur ce qui se développait déjà Outre-Manche comme franc-maçonnerie et qui précise, entre autres aspects, qu’à chaque tenue de loge il est de règle qu’un membre de l’ancienne maçonnerie de métier y assiste. Une hirondelle ne fera pas le printemps du retour par la bande de la thèse de la continuité jadis posée par Henry Carr et contestée par les historiens, mais Pierre Noël offre ici un nouvel élément à verser au dossier.
Puis Thomas de la Sore déploie ce qu’il a déniché de son côté, une règle jusqu’alors inconnue qui vient compléter le code des Chevaliers bienfaisants de la Cité sainte, dernier étage du Régime écossais rectifié (RER), le texte rédigé en latin étant traduit par l’auteur en français. Ce document fut découvert en ligne et difficilement retrouvé en bibliothèque, la règle chevaleresque ayant été rédigée par Johannes, chancelier de Bourgogne. Son étude par les chevaliers bienfaisants permet de réaffirmer « qu’ils doivent se dévouer plus particulièrement à la défense de notre sainte religion chrétienne de l’innocence opprimée et de l’humanité souffrante ». Conforme dans ses attendus, longuement déployés, aux choix idéologiques du convent de Willemsbad en 1782, cette nouvelle règle fut substituée à l’ancienne qui était issue de la Stricte observance templière. Mais l’auteur ne désespère pas de trouver d’autres sources d’inspiration au corpus chrétien ésotérique qui finit par se stabiliser sous l’égide du RER.
Jacques Tuchendler plonge quant à lui dans les prémisses du Rite français, dit moderne, avec le portrait de Pierre Louis Paul Randon de Lucenay (1743-1804). Celui-ci fut un ami intime de Roettiers de Montaleau, l’auteur du Régulateur. Militaire impécunieux, il réussit cependant dans l’immobilier. Non hostile à la Révolution, il survécut à la Terreur et finit ruiné. Si l’on ne connaît pas précisément la date d’entrée en maçonnerie de Lucenay, on sait en revanche qu’il arriva très vite au sommet de la pyramide, puisqu’il fit partie le 2 février 1784 de l’équipe de lancement du Grand chapitre général de France organisé sous l’égide du Grand orient de France. Lucenay fut membre de plusieurs loges dont l’Amitié, à Paris au sein de laquelle il fut vénérable.
L’article de Catherine Amadou clôt ce numéro double. L’auteure présente deux nouveaux manuscrits qu’elle a trouvés du célèbre ouvrage de Martinès de Pasqually (1727-1774), Le Traité sur la réintégration des êtres. La première édition imprimée de ce texte fut publiée par Chacornac en 1899. Il s’agit des documents de Matter (1862) et Gaudard (1851), ce qui porte à 17 le nombre de manuscrits repêchés dont la liste chronologique nous est offerte en fin d’article. Le Traité circula probablement sous forme manuscrite, le plus souvent en extraits, dans les loges martinésistes, fondées par Louis-Claude de Saint Martin (1743-1803) qui sera surnommé le philosophe inconnu. C’est ce qui permit de lui donner un aspect mystérieux. Pour qui voudrait approfondir le sujet, rappelons la parution récente du livre de Michelle Nahon : Martinès de Pasqually – Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIe siècle fondateur de l’ordre des Élus Coëns (Dervy, 2017).
Renaissance traditionnelle continue donc imperturbablement sur sa voie historiographique et rigoureuse qui en fait le lieu d’exercice des spécialistes les plus sérieux. Dans son introduction, Pierre Mollier admet que les trouvailles mentionnées par Pierre Noël dans son article sur le texte anglais de 1730 déposent « un petit caillou dans sa chaussure », attendu que la thèse de la continuité entre maçonneries opérative et spéculative n’est pas la tasse de thé de la revue qu’il dirige. Mais la recherche est la recherche et il faut en accepter les surprises.
On nous permettra juste un petit reproche formel à cette revue amie. Ne conviendrait-il pas, pour respecter la tradition du monde de l’édition, de ne pas commencer un article sur une page de gauche, mais en « belle page », c’est à dire à droite ? Cela permettrait d’aérer un peu une présentation des textes très -et peut être trop- dense. On pourrait même rêver de pages de garde. Nous sommes bien placés à la revue Critica masonica pour savoir que le papier coûte cher, mais la tradition nous impose de ne pas y penser.
Pour tout abonnement à cette densité (trois numéros annuels pour 50 €) ou achat d’exemplaires (15€ le simple, 30€ le double), contacter secretariat-rt@fmtl.fr. Quant à l’adresse de la revue, elle est : Renaissance traditionnelle, BP 161, 92113 Clichy Cedex.