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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les gilets jaunes, héros ou anti-héros ?

Liliane Savary

 

« Je méprise l’aigreur de ceux qui n’ont rien et l’arrogance de ceux qui ont tout »
Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, 1830

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Pourquoi vouloir faire des gilets jaunes des héros quand ils sont l’archétype des anti-héros ? En faire des héros serait les utiliser à contre-emploi et contribuer à discréditer leurs revendications qui relèvent essentiellement de leurs problèmes personnels, qui eux, n’ont souvent rien d’héroïques, même si, sous bien des aspects, il apparaît, que leur vie soit plus que difficile. De même que comparer les ronds-points à l’agora semble inapproprié dans ce contexte, toutes les instances citoyennes n’y étant pas représentées. Ces ronds-points sont plutôt pour ces hommes et ces femmes le lieu d’expression de leurs difficultés à vivre, voire à survivre dans un monde qui ne les ignore que trop. Au fil du mouvement, des personnes avec ou sans emploi, des retraités, et bien d’autres, sont sortis de leur isolement pour se regrouper, s'organiser et pouvoir espérer s'exprimer. C’est autour de ces ronds-points, en effet, que se sont créés des espaces de revendication et de lutte qui ont, assurément, fait vivre une solidarité que ces gens n'avaient pas trouvée ou cherchée auprès des syndicats, des associations et des partis politiques en place.

 

Leur gilet jaune deviendra très vite le symbole de leurs revendications. « La couleur jaune d’un gilet a rendu visibles les invisibles »  écrit Edgar Morin (blogs.mediapart.fr, 24 décembre 2018). Ce gilet permettra aux médias et à la police d’identifier les manifestants ; aux partis politiques (droite, extrême droite, gauche, extrême gauche), de se mêler aux manifestants pour mieux récupérer l’action ; aux syndicats, de bien les différencier de leurs propres groupes et enfin, aux casseurs de se fondre dans la foule lors des manifestations pour réaliser leurs méfaits. Mais surtout, ce n’est pas un hasard si les vêtements de signalisation sont de cette couleur, ils sont faits pour attirer l’attention à l’approche de situations à risque, voire de dangers imminents ou constatés. Quand les hommes et les femmes se vêtent de ce gilet sur les ronds-points, c’est en premier lieu pour signaler leur présence dans ces endroits dangereux. Hélas, cela ne suffira pas à protéger plusieurs d’entre eux, qui se sont fait happer par la mort.

 

Si au travers de ce mouvement le président Emmanuel Macron a cristallisé toutes les haines, le désaveu vaut également pour toutes les structures sensées « représenter » le peuple. On peut toujours penser que les gilets jaunes viennent de tous les partis, mais ne nous leurrons pas : ils sont en grande majorité issus des « sans parti ». C’est avant tout cette chose-là qu’ils ne partagent pas avec « les autres » ; « eux », les sans-voix, méprisés de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis maintenant, quarante années. Et, c’est bien là, que le bât blesse ! 

Alors, pour ces personnes qui en endossant les gilets jaunes sont passées de l’ombre à la lumière, de la solitude à la « solidarité » voire à la « fraternité » du groupe, retourner à la désespérance pour un grand nombre de leur vie quotidienne représente la pire des défaites, celle du retour à sa condition de « sans-voix ». C’est cette dimension-là que n’a pas compris et pris en compte le président, car dans cette affaire-là, il n’y a pas que de la revendication sociale, il y a aussi de l’humain. Et, comme le dit Christiane Taubira, « La politique, ce n’est pas la charité. C’est l’arbitrage entre des intérêts antagonistes » (Entretien avec David Revault d’Allonnes, JDD, 15 décembre 2018).

 

Alors, quand ces anti-héros rentreront dans leur foyer avec pour seuls héros leurs morts (10 à ce jour), ils se sentiront plus humiliés et frustrés que jamais car, même si ces personnes ont pris la parole, elles n’ont pas pour autant pris le pouvoir. C’est la raison pour laquelle les plus radicaux d’entre eux continuent de scander « Macron démission ! » ou d’autres slogans de ce genre.

 

Émotion et raison, l’une vaut-elle sur l’autre ?

 

Notre système politique démocratique cohabite avec un système économique dans lequel les instances représentatives sont censées faire remonter les revendications pour faire évoluer les conditions de vie de tous et en particulier des personnes les plus démunies. La « taxe carbone » décidée sans aucune concertation est venue toucher à un des symboles les plus importants de la vie des plus pauvres et des moins riches, « la voiture ». Elle a libéré la colère d'un grand nombre de personnes isolées mais pas seulement. Ces personnes ont considéré que cette injustice les touchait au plus près de leur vie quotidienne : pas de voiture, pas de boulot ; pas de voiture, pas de sortie avec la famille ; pas de voiture, pas de vacances ; pas de voiture, c’est sombrer pour beaucoup dans la pire des pauvretés. Tout cela au prétexte que la « taxe carbone » viendrait sauver la terre du réchauffement climatique, quand nous savons que les compagnies aériennes qui sont responsables de 2 à 3% des émissions de gaz à effet de serre ne la paient pas, pas davantage que les entreprises les plus polluantes (aciéries, raffineries, cimenteries…) qui représentent 21% des émissions de CO2 en France derrière les transports 34% et l’industrie manufacturière 24%. Avouons-le, c’est assurément la goutte de kérosène qui a fait déborder le réservoir !

Ne sommes-nous pas là, dans la situation du pompier pyromane ? Un président qui pense que le pays se gère comme une multinationale souffle de toute évidence sur les braises d’une France en souffrance qui depuis longtemps est abusée par des présidents défaillants. Emmanuel Macron a cru bon de remplacer l’homme politique qu’il n’est pas par le grand patron qu’il est. Il a ainsi déstabilisé dans un premier temps l’électorat qui lui avait fait confiance et renforcé la colère de ceux qui l’avaient élu par défaut et n’attendaient que le lui faire payer au prix fort. Ce sont ceux-là qui, sur les réseaux sociaux, ont commencé à chauffer les fers à blanc. Le reste, nous le connaissons, a très vite suivi… Récupération des extrêmes sur la réforme impopulaire de la « taxe carbone » prise sans concertation, les gilets jaunes venaient de naître !

Boris Cyrulnik confiait récemment (dans un entretien avec Max Armanet, We Demain, 8 décembre 2018) : « Toutes les folies meurtrières s'arrêtent un jour. Le tout c’est de savoir quand et combien on les aura payées ? La Deuxième guerre mondiale a coûté 60 millions de morts. La folie islamiste continue ses ravages meurtriers (...). Mais si les pompiers continuent à oublier leurs métiers, tandis que d’autres  soufflent sur les braises, alors le mistral va tout embraser. Il nous reste quelques heures,  quelques jours pour décider. On est dans une contagion émotionnelle qui permet à des gens hétérogènes de se regrouper dans une manifestation de violence émotionnelle. Selon moi, plus une théorie est stupide, plus elle marche. Ainsi, définir un ennemi collectif fantasmé a l'avantage de solidariser des gens qui n’ont rien à voir entre eux. Il n’y a pas de programme, et sans programme pas de quoi discuter ? Il n'y a donc guère de négociation possible. »

Quand la foule hurle, frappe, casse et ne respecte plus rien, que l’émotion collective est à son paroxysme, la peur s’installe laissant la place à toutes les lâchetés, fermant ainsi tout accès à la raison.

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L
Excellente analyse, j'aime beaucoup. A lire et relire.<br /> Toutefois, peut-être y manque-t-il un point sur les exactions et les débordements, ici assez occultés me semble-t-il..<br /> Un hibernatus qui découvrirait aujourd'hui seulement le phénomène des Gilets Jaunes à travers ce regard de Liliane Savary pourrait s'imaginer que depuis la mi-novembre tout ceci s'est passé fort civilement, dans un calme de cathédrale.<br /> Nous sommes sur un site maçonnique.<br /> En tant que maçons, nous savons que tous le G.J. n'ont pas été franchement "bisounours" avec la Franc-Maçonnerie. "Mort aux Francs-Maçons" sur un péage d'autoroute à côté de Sète. Et pas de doute il s'agit bien de gilets jaunes, pas de casseurs déguisés, ils y campent quotidiennement devant l'inscription à une quarantaine. Abolition de la Franc-Maçonnerie réclamée sur les cahiers de doléances de l'Ile de la Réunion, etc... Le site voisin et ami Hiram.be en a largement fait l'écho.<br /> En tant que citoyens ensuite. L'Arc de Triomphe tagué, le buste de La Marseillaise de Rude saccagé, des GJ souhaitant qu'un général accède au pouvoir, le lynchage de journalistes ou de policiers, avec un boxeur Prix Nobel d'intelligence et de négociation, l'incendie partiel ou pas ou la destruction de bâtiments publics, préfectures, impôts, n'est pas de nature à rassurer non plus.<br /> Même si bon nombre des motivations sont respectables, les actes pour les porter sont, a minima, maladroits et inopportuns.<br /> Peut-on passer tout celà sous silence?<br /> Du coup peut-on dire: "gilets jaunes héros ou anti-héros"?<br /> Ni l'un ni l'autre je crois bien. Surtout tant qu'ils n'auront pas démontré une volonté réelle de défendre la République et la démocratie (et accessoirement de ne pas condamner Franc-Maçonnerie et Francs-Maçons).<br /> Il ne s'agit pas ici de glisser dans un anti-GJ pas plus constructif qu'être anti-maçon, mais désolé d'avoir à dire que toutes ces mauvaises actions et leurs mauvais acteurs invitent à une saine méfiance et à une saine prudence.<br /> En d'autres termes il appartient aux gilets jaunes de nous démontrer que si leur gilet jaune ne peut plus se prétendre être un gilet d'honneur (désolé, devenu trop souillé depuis le 17 novembre) il n'est pas pour autant et encore un gilet du déshonneur, car il s'en faut de pas tant que ça pour que cela sombre de ce côté-là.<br /> Attention à cette fragilité de représentation.<br /> Cela étant, le Franc-Maçon, comme le citoyen, ne demandent qu'à se tromper....
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M
Que cette année 2019 puisse faire avancer les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité autour de vous, en France, en Europe et dans le monde.<br /> <br /> La culture gratuite jusqu’à 25 ans <br /> Pour un monde plus fraternel et aimant<br /> <br /> Des marchandises transportées sur rail et sur eau<br /> Pour un ciel moins pollué et plus beau <br /> <br /> La gratuité pour les transports en commun<br /> Train, métro, car pour un monde plus serein<br /> <br /> Une économie au service du peuple<br /> Pour le bien du peuple<br /> <br /> Une politique sociale<br /> Pour remonter le moral<br /> <br /> Que les serviteurs de la haute finance<br /> Arrête l’infernale cadence<br /> <br /> Pour nous enfants de la nature<br /> Jamais père et mère je ne dénature<br /> <br /> Que la lumière éclaire notre pensée<br /> Pour que notre vie soit améliorée<br /> <br /> <br /> Bon courage à tous<br /> FRATERNITE humaine, animale, végétale, internationale
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