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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Ce que « Mrs America » nous rappelle des liens entre ultra-religieux et politiques dans le combat contre l’égalité

Alban Corso

Le 26 octobre dernier, Amy Coney Barrett a été confirmée par le Sénat américain par 52 voix contre 48 (les sénateurs républicains sont 53, mais la sénatrice du Maine, Susan Collins, progressiste et confrontée à une réélection compliquée a voté contre). Il s’agit incontestablement d’une victoire pour le Président Donald Trump, qui devient ainsi le Président ayant nommé le plus grand nombre de juges à la Cour Suprême depuis Ronald Reagan.

Cette nomination suit donc la nomination de deux autres juges (Justices en anglais) réputés pour leur conservatisme forcené et leur proximité avec les milieux ultraconservateurs chrétiens. Par ailleurs, avec cette nomination rendue nécessaire par le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg en septembre dernier, il fait basculer pour très longtemps et de manière exceptionnelle la majorité de la Cour suprême, composée de 6 conservateurs contre seulement 3 progressistes.

En effet, la tradition voulait jusqu’à présent que la Cour suprême, qui a notamment la responsabilité d’arbitrer les grands débats de société, représente les deux principaux courants de pensée à part égale, avec le Président de la Cour (Chief Justice) comme point d’équilibre. Cela a d’ailleurs été le cas jusqu’alors, puisque John Roberts, pourtant nommé par George W Bush, n’a cessé de se « recentrer », jusqu’à incarner ces dernières années le pivot parfait des décisions de la Cour. Il est à prévoir que l’apparition d’une majorité absolue, hors Chief Justice, déséquilibre durablement ses décisions.

Il est d’ailleurs connu que le Président Trump souhaite qu’elle ait à se prononcer sur l’Affordable Care Act, aussi connu sous le nom d’« Obama Care », qui permet la création, au niveau fédéral, d’une assurance maladie. Il s’agit d’une avancée majeure pour des millions d’Américains qui étaient empêchés d’accéder au financement de leurs frais de santé en raison d’antécédents médicaux. L’acquisition d’une majorité conservatrice au sein de la Cour suprême peut donc faire craindre pour l’avenir de cette loi de justice sociale, en cas de réélection de Donald Trump.

La Cour suprême a surtout été à l’origine de nombreuses avancées sociales et de justice aux États-Unis. On peut citer notamment (et dans le désordre) la légalisation du mariage pour les couples de même sexe, la légalisation de l’avortement ou encore la fin de la ségrégation raciale. La Cour a également rendu la peine de mort inconstitutionnelle en 1972, avant de renverser son arrêt en 1976. Elle est donc devenue une forme d’instrument d’équilibre, face à la surreprésentation des États ruraux conservateurs.

Lors de sa campagne pour être élu Président des États-Unis, Donald Trump a été largement soutenu par les évangélistes blancs, qui ne reconnaissaient pourtant pas en lui un apôtre des vertus chrétiennes, mais appréciaient la capacité d’entraînement de cet homme d’affaires connu pour sa participation à des jeux de téléréalité et son goût pour le faste. Ces évangélistes blancs, souvent issus de communautés rurales du Midwest, sont loin de l’image faite communément de l’électeur trumpiste (blanc, chômeur, ivrogne). Ils sont souvent aisés, mais ont porté leurs suffrages sur cet homme pour lutter contre l’avancée des droits LGBT et lutter contre l’islam, qu’ils identifient comme les deux fléaux des temps modernes et surtout comme les raisons de la baisse d’influence du parti Républicain et des chrétiens dans la vie politique américaine (lire : Jessamin Birdsall, traduit par Mélanie Cournil, « Qui croit en Trump ? », laviedesidees.fr, 8 novembre 2016).

Ces évangélistes sont donc prêts à pardonner à Donald Trump ses errements, pêchés et vices, à condition qu’il protège le modèle chrétien traditionnel. D’ailleurs, Trump n’avait-il pas déjà été celui qui avait dénoncé Obama et mis en cause le fait qu’il soit né aux États-Unis, condition sine qua non pour être éligible à la magistrature suprême et en l’appelant sans cesse Barack « Hussain » Obama ?, Trump utilisait volontairement son second prénom d’origine arabe pour induire sa supposée appartenance à l’islam, alors que Barack Obama appartient à une église pentecôtiste.

Cet épisode avait déjà accompagné la radicalisation d’une partie des électeurs blancs, dans la suite du Tea Party depuis 2006. Le soutien que ces électeurs attendaient donc de Donald Trump, élu président, passait principalement par la nomination de juges acquis à leur cause. Et ils seront plus que satisfaits du résultat. Dans un premier temps, le Sénat majoritairement républicain a abaissé la majorité nécessaire pour valider la nomination des juges à la Cour suprême passant d’une majorité qualifiée de 60 sénateurs à une majorité simple, ce qui permet aux Républicains de nommer seuls des juges. Ainsi, alors que Ruth Bader Ginsburg avait vu sa nomination validée par 96 voix au Sénat, sa remplaçante n’a reçu que 52 voix, devenant la première juge de l’histoire récente à être nommée sans le moindre vote du parti de l’opposition.

Cette cristallisation des partis prend une coloration particulière alors que le pays n’a que rarement été aussi divisé depuis la guerre de Sécession, qui opposait les États confédérés du Sud, esclavagistes et les États de l’Union, au Nord, abolitionnistes. Et c’est là où la mini-série Mrs America (9 épisodes produits par FX et diffusés en France sur Canal+) entre en jeu, nous rappelant que les États-Unis sont un pays dans lequel la vague ultralibérale, mais aussi ultraconservatrice, a déjà vécu ses heures glorieuses sous la présidence de Ronald Reagan.

La mini-série se situe dans les années qui précèdent son élection et suit le parcours de militantes féministes et conservatrices durant les années de ratification par les États fédérés d’un amendement constitutionnel en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes (Equality Rights Amendment, ERA), adopté par le Congrès au début des années 1970. Cette plongée au cœur des mouvements féministes et ultraconservateurs, qui révèle au passage toute la complexité des personnalités de chacune de ces femmes, nous permet de mieux appréhender un combat pour l’égalité qui n’est toujours pas terminé.

Alors que le mouvement féministe défend le développement des droits des femmes et affirme une société libérale avec des individus égaux, les conservateurs souhaitent protéger un modèle qu’ils vivent comme celui de l’ordre et de la stabilité de la société. Cet antagonisme, qui n’existe pas ou peu au moment du vote par le Congrès, va se déployer dans toute sa violence au cours des années qui suivent, donnant la parole à des groupuscules.

À travers le parcours des différentes héroïnes de la série, nous pouvons voir l’évolution du modèle familial américain, des plus conservateurs jusqu’aux plus libéraux. Cette série nous permet de voir ce moment fort mais peu connu de la politique américaine où se sont affrontées différentes visions profondément différentes de la société américaine, mais aussi la micro-histoire, celle de chaque individu dans toute la nuance et la complexité de la construction des identités, qu’elles soient collectives ou personnelles.

Le personnage (réel) de Phyllis Schlafly est sans doute le plus intéressant car il s’agit d’une femme, épouse d’un avocat membre du parti républicain de l’Illinois, qui va prendre une ampleur politique peu commune à cette époque et qui va avoir un impact pour les années suivantes, dont on peut se demander s’il s’est réellement éteint un jour. À cette époque, cette juriste qui aurait pu aller à Harvard si les femmes y étaient acceptées, est devenue l’une des spécialistes reconnues du domaine de la défense avec l’édition d’une lettre d’information relayée à plusieurs milliers d’exemplaires. Elle a déjà été candidate républicaine à des élections, sans succès. Elle veut réellement peser et a le rêve secret de devenir la première femme Secrétaire à la défense des États-Unis.

Alors qu’elle-même mène une vie particulièrement indépendante, tout en préservant les apparences de la famille chrétienne traditionnelle, elle aspire à s’impliquer davantage dans les affaires politiques. Elle voit dans la campagne de ratification de l’amendement constitutionnel par les États fédérés une occasion de mener une campagne conservatrice dans tout le pays. Elle va donc transformer progressivement son petit réseau constitué de femmes d’élus ou de cadres républicains en un réseau de femmes conservatrices pour la défense du modèle familial traditionnel.

Au fil de la série, alors qu’elle-même passe de plus en plus de temps en dehors du domicile conjugal pour faire campagne dans tout le pays, elle s’associe avec tout un ensemble de groupes religieux fondamentalistes qui vont fournir une base à son mouvement. Elle se retrouve ainsi prise dans un paradoxe qui ressemble fortement à celui de Donald Trump. Ce qui interroge, hier comme aujourd’hui sur les raisons qui peuvent expliquer la peur que ressentent les défenseurs du modèle traditionnel alors que les défenseurs de davantage d’égalité ne menacent en rien leurs choix individuels.

Forte de son réseau politique (plus de 40 000 adhérents), Phyllis Schlafly va vendre son influence à Ronald Reagan, pour d’une part remporter la primaire républicaine, mais aussi l’élection présidentielle de 1980. Elle fait alors le pari que son engagement sans faille lui permettra d’entrer au cabinet. L’histoire lui donne tort, mais elle a ouvert la boite de Pandore et permis aux ultra-religieux de gagner durablement leur place au sein de la politique américaine.

Finalement, à chaque fois que des mobilisations parviennent à faire avancer l’égalité entre les individus au niveau fédéral, on assiste à une mobilisation des citoyens américains les plus religieux qui, tout en se sachant minoritaires ou même précisément pour cette raison, font gagner un candidat républicain perçu comme un homme fort, quitte à mettre en péril la stabilité et la structuration même de ce grand pays démocratique que sont les États-Unis.

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