Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
C’est une nouvelle somme de réflexion que nous propose l’historienne Michèle Riot-Sarcey. Dans son ouvrage qui vient de paraître aux éditions de la Découverte, elle étudie la manière dont les idéologies qui se voulaient libératrices, même si elles ont connu quelques conséquences positives, se sont aujourd’hui dissoutes dans un néolibéralisme dont on ne peut que constater le triomphe.
Ayant fort opportunément découvert la pensée pessimiste, mais ô combien lucide et heuristique de Günter Anders, l’historienne constate que l’individu qui se pensait libre et émancipé s’est en réalité noyé dans un cadre totalisant, la lucidité critique ayant été étouffée dans un monde gouverné par l’argent.
Après avoir réfléchi dans un précédent livre (Procès de la liberté, une histoire souterraine de la liberté en France, éditions de la Découverte, 2016) sur les racines du phénomène, Michèle Riot-Sarcey poursuit sa réflexion en étudiant un XXème siècle qui aura vu fleurir les propositions de progrès, dont la conséquence inattendue et paradoxale aura été d’affaiblir le pensée critique et de construire une masse d’individus désarmés. Seuls quelques anciens révolutionnaires auront réussi à tracer leur chemin dans une mondialisation mortifère.
L’auteure reprend les grands moments de lutte émancipatrice que furent l’affaire Dreyfus, la guerre civile espagnole et le Front Populaire, sans oublier le mouvement ouvrier américain, mai 68 et les luttes anticoloniales. Pour l’historienne, qu’il se soit agi du marxisme orthodoxe ou du structuralisme politique, l’individu s’est trouvé écrasé par des propositions surplombantes.
Le livre commence par un renvoi au précédent ouvrage de l’auteure et un rappel de la manière dont les voix souterraines de l’émancipation ont été tracées dans le long XIXème siècle et celle dont le progrès s’est trouvé mis en question. Ensuite, l’auteure travaille « l’irrésistible ascension » des idéologies entre 1919 et 1939. La troisième partie s’attache à l’après-guerre où la vérité de certaines libertés nouvelles sociétales s’est assortie d’une sorte d’impossibilité de retrouver une fonction critique dans le domaine social et politique. Une sorte de paradoxe infernal.
Aujourd’hui, les volontés d’émancipation individuelle ou collective font retour par des voies inattendues, la pensée critique n’est pas totalement inactive et l’utopie revient par la bande. C’est sur cet optimisme fragile que ce construit la conclusion de ce livre extrêmement bien documenté.