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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Pop occultisme » (1/3)

« Pop occultisme » (1/3)

Stéphane François

Nous allons nous intéresser dans cette étude à la diffusion et à la recomposition, des discours ésotérique et occultiste dans les cultures marginales connues sous l’expression d’underground. Ces cultures marginales ou subcultures, sont nées dans le sillage de la contre-culture des années 1960 et sont un mélange de culture « pop » et d’agitation estudiantine. Nous nous intéresserons aussi aux conséquences de cette diffusion : une volonté de ré-enchanter, c’est-à-dire d’essayer concrètement de sacraliser, un monde de plus en plus matérialiste. L’intérêt de ces subcultures et de ces discours réside, pour le chercheur, dans le fait qu’elles ont proposé non seulement des modèles alternatifs de vie, mais aussi une cosmologie. En outre, ces contre-cultures mêmes anticipent les évolutions majeures des sociétés occidentales, tant au niveau social que spirituel. Il est dommage que l’étude de ces faits et pratiques ait été longtemps rejetée ou ignorée par le monde universitaire qui les jugeait irrationnels ou peu sérieux.

Définitions

L’underground peut être défini de la façon suivante : il s’agit d’un mode de vie en marge des valeurs dominantes de la société, le mainstream, qui se manifeste par l’élaboration de ses propres règles à la fois de vie et intellectuelle/culturelle. L’underground se manifeste aussi par une radicalité politique et/ou artistique associée à une volonté de subvertir. Les contre-cultures sont des systèmes déviants, qui cherchent à subvertir les identités établies. La notion de contre-culture doit aussi être vue comme une réaction à la tendance à l’homogénéisation du rationalisme issu des Lumières : il s’agit d’une réaction irrationnelle, parfois « spiritualisante ». Il est vrai que les contre-cultures ont des liens féconds avec les milieux occultistes et ésotéristes.

De ce fait, il est donc nécessaire, pour la clarté de notre propos, de définir ce qu’est l’ésotérisme et l’occultisme. Antoine Faivre distingue cinq contenus sémantiques dans le mot « ésotérisme » : le terme « fourre-tout » ; le discours volontairement « crypté » ; l’ésotérisme traditionaliste d’un René Guénon ; le discours gnostique ; et enfin, l’approche universitaire. Malgré cette impression d’hétérogénéité, il a été possible d’en établir une critériologie comprenant six composantes, dont quatre essentielles (les correspondances, la Nature vivante, l’imagination et les médiations, l’expérience de la transmutation) et deux accessoires (la pratique de la concordance et la transmission). L’analyse des pratiques culturelles des groupes étudiés montre que ceux-ci s’inscrivent plutôt dans le cadre de l’occultisme. Celui-ci est un terme à la fois proche et distinct de l’ésotérisme : il existe une distinction nette entre ce qui peut être défini comme l’aspect théorique d’un côté (l’ésotérisme) et l’aspect pratique de l’autre (l’occultisme).

Au-delà de cet aspect pratique, l’occultisme peut être considéré comme un courant particulier de l’ésotérisme contemporain. Il comprend l’idée de secret, de connaissances réservées, d’« initiation ». Dans le langage courant, le mot « occulte » et ses dérivés renvoient à la fois à ce qui est caché, masqué, et à une série de pratiques sociologiques (la création de « sociétés secrètes » et l’inscription de celles-ci dans une filiation continue) et de pratiques magiques, de contacts avec des entités supranaturelles et de rites initiatiques. Au XIXe siècle – mais nous retrouvons ces caractéristiques dans les milieux underground contemporains – les occultistes désiraient maintenir un espace ouvert entre la science et le spirituel, allant à contre-courant de la sécularisation et du scientisme de leur siècle. Les occultistes étaient persuadés que certaines vérités spirituelles devaient rester cachées dans des sanctuaires, en attendant le moment propice de leurs « désoccultation ». Cette dernière se fit dans les années 1960 et 1970 dans les milieux contre-culturels.

Contextualisation historique

Les milieux underground et occultiste ont une longue histoire d’échanges et de fécondations mutuelles. Dès la fin du XIXe siècle, les milieux occultistes fréquentaient les avant-gardes artistiques et réciproquement. Des poètes, comme le prix Nobel William Butler Yeats ou l’écrivain Arthur Machen, fréquentèrent assidûment des structures occultistes, en particulier le Golden Dawn Order. Des occultistes comme Papus, Joséphin Peladan, Aleister Crowley côtoyèrent la bohème artistique de leur époque. Des auteurs renommés comme Victor Hugo faisaient tourner les tables. Plus récemment, et dans un registre plus ésotérique, un grand nombre d’intellectuels furent marqués et influencés par les thèses de l’ésotériste français René Guénon. Les surréalistes ne cachèrent jamais leurs goûts pour l’ésotérisme et l’occultisme. Cependant, ces pratiques restèrent marginales, même si cette bohème artistique/occultiste donna naissance dans les années 1960 à la contre-culture. Le changement vint de cette époque, et surtout de l’ampleur du phénomène qui donna naissance au New Age et aux milieux qui nous intéressent. Longtemps confiné dans des milieux marginaux, l’occultisme s’est donc « exotérisée », c’est-à-dire qu’elle s’est diffusée dans de nouveaux milieux, en particulier dans la culture populaire, perdant dans le même temps son côté marginal et occulte. Il est alors devenu « mainstream » culturellement, c’est-à-dire qu’il est devenu un élément constitutif de la culture populaire de cette époque, mais aussi de la nôtre.

À cette époque, le moindre livre écrit, y compris par un inconnu, sur des sujets tels que les spiritualités, l’« histoire secrète », les ovnis ou l’ésotérisme tirait au minimum à cinquante mille exemplaires et cela jusqu’à la fin des années 1960. L’engouement pour ce type de littérature a été très fort aux dans les pays occidentaux, montrant ainsi le besoin de merveilleux et de pensée alternative d’une frange importante des populations occidentales. En fait, ces milieux sont plutôt ceux des « parasciences ».

En France, le principal vecteur de cette « exotérisation » de l’occultisme fut une revue, Planète, qui déchaîna les passions. En effet, dès sa création en 1961, elle désira mener une guerre « révolutionnaire » contre la culture dominante de l’époque qu’elle jugeait figée, fermée, morose, et rétrograde. En réponse, elle proposait à ses lecteurs « une ouverture voluptueuse à tout » : idées insolites, « faits maudits », événements étranges, littérature, contestation des frontières scientifiques (interdisciplinarité), refus des partis pris idéologiques, « histoire mystérieuse » (civilisations perdues), personnages énigmatiques, aventures de l’esprit, vulgarisation des sciences… et redécouvertes des idées occultistes. Planète, en cherchant à réconcilier la science et l’irrationnel, a repris, consciemment ou non, la démarche des occultistes du XIXe siècle qui désiraient réconcilier la science et l’esprit dans le but de ré-enchanter le monde. Son succès fut prodigieux. Aucune revue intellectuelle française n’avait jusqu’alors atteint les cent mille exemplaires vendus (en 1965, il y eut même des tirages atteignant les 500 000 exemplaires), ni suscité de déclinaison en trois éditions étrangères. Le succès a été tel que Jacques Bergier fut dessiné, en 1968, sous les traits de Mik Ezdanitoff dans l’aventure de Tintin Vol 714 pour Sidney. La revue disparut cependant en 1968, ses animateurs jugeant leur mission accomplie : elle avait selon eux changé les sensibilités et ré-enchanté le monde. Elle permit, il est vrai, la diffusion « désoccultée » des thèmes ésotérico-occultistes dans de larges pans sociétaux, populaires et/ou underground. La réussite commerciale de cette revue a en effet permis aux thèmes occultistes de se diffuser hors des cercles restreints dans lesquels ils étaient habituellement confinés, et de toucher une population plus jeune, ayant une culture marginale ou sommaire, qui cherchaient de nouveaux référents. Après avoir découvert l’occultisme dans Planète, ces nouveaux lecteurs se sont dirigés vers les collections éditoriales qui ont su profiter de cet effet de mode, accélérant ainsi le processus de diffusion.

À suivre...

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J
ODS, c'est quoi déjà?
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J
Merci du renseignement
M
Une association qui publie des fanzines, des revues (littératures fantastique/SF), le "Bulletin de l'université de Miskatonic" (lovecraftiana), "Murmures d'Hirem" et "Historia occultae" (ésotérisme) etc...
M
"Prendre des vessies pour des lanternes" : c'était tout Bergier ! Auprès de ses amis et proches il ne s'en cachait pas ! J'ai encore souvenance de l'intervention de l'épouse de Pauwels et de la secrétaire de Bergier lors d'une conférence de l'ODS sur Bergier.
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B
Je dirai même plus, comme disent les tintinophiles, c''est toujours original!
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A
Toujours aussi passionnants les articles de Stéphane François!
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